Providence 21

Quel avenir pour l'Etat providence après la crise du coronavirus ?


1945-1995 : QUELLE SOLIDARITE ?
___________

Jean-Jacques DUPEYROUX
______
Droit social 1995, page 713

Nous avons, avec l’aimable autorisation du directeur de la revue Droit social, souhaité rendre hommage à Jean-Jacques Dupeyroux en republiant un de ses articles paru en 1995. 



La protection sociale, demain. Demain ! Ce numéro spécial de notre revue ne participe en aucune façon aux démarches commémoratives qui marqueront le 50e anniversaire de notre Sécurité sociale. Il y a certainement mieux à faire que d'entrer ainsi dans l'avenir à reculons (2). D'ailleurs, de quoi s'agit-il ?

S'agit-il de commémorer « le plan de 1945 », plan mythique dont personne ne saurait décrire l'exact contenu ? On ne commémore pas des velléités.

S'agit-il de commémorer les ordonnances d'octobre 1945 fondatrices du système ? Il serait temps d'en finir avec le culte quelque peu excessif qui leur a été voué depuis un demi-siècle et de jeter un œil plus froid sur ces dispositions.

J'entends déjà la colère des dévots. N'a-t-on pas mis en place, en 1945, une organisation qui a permis aux salariés d'avoir accès aux soins médicaux, de bénéficier de pensions de retraite, de prestations familiales ? Soyons sérieux : faudrait-il crier au miracle parce qu'un système de sécurité sociale distribue des prestations ? À ce compte-là, dès lorsqu'une voiture roule, on serait censé s'extasier en faisant abstraction de toute autre considération, sécurité, consommation, nuisances etc.

Il faut, à mon très humble sens, lier sécurité sociale et solidarité. Or, si la construction de 1945 a, incontestablement, une très forte cohérence, elle l'a trouvée dans un propos majeur, toujours occulté dans les discours : avantager systématiquement les catégories les plus aisées ; disons, pour aller vite, les riches (3). Pourquoi faudrait-il attendre trois siècles encore pour dresser ce simple constat ?

Je passe, d'un mot, sur les dispositions de 1945-46 propres à chaque risque.

L'assurance maladie ? Ratage monumental parce que, et tout le monde le sait, les intérêts tenus pour prioritaires furent ceux du corps médical et nullement ceux des assurés sociaux (4). Il en résulta, dans les années qui suivirent, un enrichissement vertigineux du premier aux frais des seconds : ce fut « l'âge d'or » de la médecine, accompagné d'un enlisement de l'assurance maladie dont il n'est pas certain qu'elle se relève jamais. Voilà la vérité.

L'assurance vieillesse ? Elle fut aménagée sur la base d'un âge normal de départ, 65 ans (5). Sans attendre le verdict accablant du fameux modèle BABAR (6), un enfant de dix ans aurait compris qu'en raison de leur faible longévité, les OS. et autres catégories deshéritées seraient volés comme dans un bois (7).

Les prestations familiales ? Les dispositions de 1946 à cet égard méritent peut-être plus d'indulgence. Retenons-en tout de même le principe sacro-saint d'une distribution « égale » des prestations : aux plus riches la même chose qu'aux plus pauvre... Principe en lui-même des plus contestables et qui, si les cotisations sont plafonnées, est inévitablement générateur de contre-transferts (8).

Mais le pire n'est pas dans ces bafouillages sectoriels, si fâcheux furent-ils. Il est dans le mode de financement retenu : un tout-cotisation dégressif, doublement dégressif : toutes les cotisations sont plafonnées, très bas, pour épargner - par hypothèse - les plus aisés (9) ; et par-dessus le marché, les cotisations salariales sont déductibles de l'assiette de l'impôt sur le revenu ? (10) : plus on gagne, moins on paie ! Vous avez dit solidarité ? Excusez-moi, j'ai dû mal entendre.

Ou plutôt j'entends l'éternelle réplique : il ne faut pas prêter trop d'importance à cette dégressivité, car même s'il n'est guère contestable que l'on a voulu préserver certains intérêts, il n'en reste pas moins que l'essentiel des ressources du système a été demandé aux entreprises (11) : les employeurs sont contraints de prendre à leur charge, pour la plus forte part, les prestations diverses assurées à leurs salariés. La solidarité serait là, massive.

Il est possible que les auteurs de la construction de 1945 l'aient cru (12). Peu importe. Constatons que cette fameuse solidarité employeurs/salariés a été, au moins pendant les trente glorieuses, un leurre.

En dépit de l'éternel slogan « les patrons paieront », les dits patrons n'ont guère « payé » tant que la croissance et l'inflation leur ont permis de répercuter leurs cotisations sur les consommateurs et, finalement, sur les salariés eux-mêmes, ou, plus simplement encore, de compenser le poids de ces cotisations par une moindre augmentation des salaires (13) : jeu à somme constante une fois fixée, par le marché, la valeur globale du travail salarié, autrement dit son coût pour l'entreprise. Sans rappeler ici la trame de démonstrations diverses dont les conclusions sont convergentes, il suffit, pour être édifié, de constater - toujours le même verbe...-qu'un accroissement considérable des cotisations patronales n'a guère modifié la part du revenu national dévolue aux salariés (14), salaires directs et indirects ; et que le coût global du travail salarié en France est resté dans la moyenne européenne (15).

En réalité, la distinction cotisation patronale/ cotisation salariale n'a été qu'illusion d'optique : il s'agit, dans l'un et l'autre cas, de retenues à la source sur la valeur marchande du travail salarié. Ainsi, sous le couvert de cotisations « patronales », le mistigri a été, sans qu'ils s'en doutent, refilé aux salariés, invités à assumer eux-mêmes le coût de leur sécurité sociale.

Sans contester cette analyse maintenant communément admise, les optimistes remontent en filet... Sans doute, disent-ils, les employeurs ont-ils tiré leur épingle du jeu ; mais les dispositions de 1945 ont organisé une vaste solidarité dans le monde du travail en imposant une distribution différente, entre actifs, malades, retraités, familles etc., de la part du revenu national obtenue par les salariés en échange de leur travail. Ce résultat est très éloigné de ce qui a été si bruyamment affiché et acclamé ; il n'en est pas moins positif.

Cette position de repli a le mérite de placer le débat hors des grandes incantations, mais nous fait retomber dans les stéréotypes habituels : la Sécurité sociale organise une solidarité entre les bien-portants et les malades, les actifs et les retraités... ; formules vides de sens. La seule question en effet, au regard de la solidarité, est de savoir ce que chacun met au pot commun et ce qu'il en retire (16) : si la cotisation patronale, comme la cotisation salariale, n'est qu'une retenue à la source sur la valeur du travail salarié et si les contributions sont dégressives, force est de constater que les perspectives tracées en 1945 ont tourné le dos à une authentique solidarité. Constat particulièrement criant lorsqu'un ménage de salariés modestes, bénéficiant de deux faibles salaires, se voit contraint de cotiser doublement, et à plein !

Or, placé sur cette pente en 1945, le système n'a cessé de la dévaler : le principe du tout-cotisation a contraint les salariés à payer toujours plus, directement ou indirectement ; et l'institution d'une protection complémentaire, encore et toujours financée par des cotisations sur les salaires, s'est inscrite dans la même pente. Ponction formidable sur ces salaires, d'autant plus lourde, compte-tenu de sa dégressivité, que les gains sont plus modestes... On est arrivé ainsi à imposer au smicard un prélèvement social obligatoire de l'ordre de 40 % (17), à hauteur fort proche de celle des prélèvements obligatoires nationaux, de l'ordre de 44 %.

Quant au prélèvement subi par un ménage de smicards, je laisse à mes lecteurs le soin de le calculer... Si certains veulent commémorer le coup d'envoi du processus qui devait conduire à un tel rackett, grand bien leur fasse !

La mystification - en réalité grossière - saute à la figure lorsque l'on veut bien, comme je l'ai fait dans je ne sais combien d'articles depuis des lustres, mettre en parallèle les parts respectives, dans nos prélèvements obligatoires, des cotisations sociales - record du monde - et de l'impôt sur le revenu : insignifiant (18). De ce partage, totalement atypique - « l'exception française » par excellence - deux évidences se dégageaient d'elles-mêmes :

- première évidence : l'impôt sur le revenu étant pratiquement la seule imposition progressive dans un océan d'impositions proportionnelles ou carrément dégressives, nos prélèvement obligatoires ne pouvaient être que très faiblement progressifs (19). Cette proposition qui suscitait encore le scandale au début des années 80 vient d'être confirmée sans appel, semble-t-il, par les importants travaux de la commission Ducamin ? (20). L'aveu !

- deuxième évidence : des dépenses relevant de la solidarité nationale et qui devraient de ce fait être assumées par tous les ménages en fonction de leurs capacités contributives, donc par l'impôt sur le revenu, l'ont été chez nous par des cotisations dégressives... En clair, les salariés les plus pauvres ont fait les frais de l'allergie nationale à l'impôt sur le revenu.

J'ai donc, dans mon coin, émis maintes fois le vœu d'un rééquilibrage susceptible de ré-insuffler un peu plus de solidarité dans le système : l'impôt et plus précisément l'impôt sur le revenu - puisque le seul progressif - devrait être substitué à certaines cotisations qui devraient elles-mêmes être restituées aux salariés (21). C'était suggérer la distinction assurance/solidarité (22).

Une telle suggestion, liée à des constats difficilement contestables, se heurtait à un consensus en béton de toutes les parties en cause (23). On avait inventé une merveille : le mistigri invisible... Ceux à qui on imposait une ponction colossale - avec contre-partie douteuse (24) - ne s'en doutaient pas ! Pourquoi, dans ces conditions, envisager l'aventure d'une quelconque fiscalisation qui pourrait, au hasard des compressions budgétaires et des errements du Parlement, avoir des incidences très négatives sur les prestations fiscalisées ? Que deviendraient nos prestations familiales, que deviendrait notre assurance maladie ?

Il est évident que cette inquiétude n'est pas sans fondement : il n'y a pas de solution parfaite. Mais le sophisme n'est pas loin : si, en effet, l'argument était réellement pertinent, il faudrait, en ce cas, se hâter de faire financer notre Education nationale avec des cotisations assises sur les salaires... On imagine les réactions que susciterait semblable bouffonnerie. Or prenons l'exemple des écoles, des prestations familiales, des soins dus aux enfants : j'aimerais bien qu'on m'explique ce qui différencie fondamentalement ces volets complémentaires de la politique de l'enfant... Et je suis chagriné de ne trouver, sous la plume de ceux qui dénoncent les aléas de toutes fiscalisation, aucune allusion aux incidences réelles du financement par cotisations. Silence radio... On s'accommode plutôt facilement du niveau de vie du smicard, écrasé comme raisin sous le pressoir.

Quoi qu'il en soit, il fut entendu une fois pour toutes que grâce à la construction de 1945, les français bénéficiaient du « meilleur système de sécurité sociale du monde » (25), système auquel les français sont inconditionnellement « attachés » (26). N'en doutons pas, nous aurons encore droit, en octobre, à cette langue de bois, avec des « Deo gratias » assourdissants. Ici on évoquera la formidable « conquête ouvrière », et, de leur côté, les politiciens de droite n'auront pas de mots assez vibrants pour applaudir cette conquête, les mots du cœur...

Rites immuables, alors que les temps, eux, ont dangereusement changé. A la nouvelle conjoncture économique sont liées deux données nouvelles, fondamentales.

D'abord la contradiction bien connue entre l'explosion des dépenses sociales, notamment - mais pas uniquement ! - due à la montée du chômage ; et le tarissement des ressources entraîné par ce dernier. Les fameux trous se sont faits abîmes (27).

D'autre part, une rupture radicale dans l'attitude des chefs d'entreprise qui, pris dans la tourmente d'une concurrence internationale déchaînée, au propre et au figuré, ont rapidement annoncé la couleur : plus question d'accepter désormais l'augmentation continuelle du coût du travail salarié naguère permise, à l'abri des frontières, par la croissance et l'inflation ; plus question donc d'accepter allègrement un alourdissement permanent de cotisations que l'on n'est plus certain de pouvoir rejeter sur les salariés. Et, parallèlement, une conviction se répand à grande allure : la lutte contre le chômage passe par une réduction du coût du travail salarié, notamment celui du travail peu qualifié. La distinction assurance/solidarité qui, sous ma plume, ne répondait qu'à un propos d'équité, de clarté, de pédagogie, va être en quelque sorte validée par des considérations économiques auxquelles je n'avais nullement pensé..., et se retrouver dans une foule d'écrits ou de déclarations (28).

Sans doute tente-t-on, à partir de 1982, une sorte d'opération-vérité à l'envers destinée, contre vents et marée, à continuer de faire payer les salariés : on bloque plus ou moins les cotisations patronales et on augmente les cotisations salariales, au prix d'un décalage croissant entre salaires bruts et salaires directs. Mais, par hypothèse, le mistigri réapparaît. Et chacun de comprendre, au moins confusément, que l'on ne colmatera pas les abîmes en réduisant indéfiniment, au grand jour cette fois, les gains des travailleurs ; qu'il appartient à la collectivité nationale de prendre enfin à sa charge ce qui relève de la solidarité nationale.

Mais « quid » de cette solidarité nationale ? Il est facile de l'invoquer, beaucoup plus difficile de la définir, encore plus difficile de la mettre en œuvre. Qui doit payer, s'il est exclu de renvoyer toute la charge aux salariés ? Vaste panique, à la mesure des enjeux financiers, colossaux !

Je crois en effet - il serait intéressant d'en débattre - que c'est à cette panique qu'il faut lier certaines réactions égarées. Ainsi les fulminations fébriles des années 80 - avant le changement de majorité - contre le volume de nos prélèvement obligatoires (29). Ainsi, beaucoup plus intéressant à bien des égards, le succès fulgurant d'un thème pour le moins inattendu à la veille de l'an 2000 : celui d'un retour au XIXe siècle, forme extrême du passéisme (30). Pour résoudre les problèmes de la Sécurité sociale, une solution miracle : sa suppression. Chacun pour soi ! Rejet de toute solidarité !

On sait - il suffit de jeter un coup d'œil outre-Atlantique - sur quoi débouche un tel rejet : non seulement plusieurs dizaines de millions de personnes y sont dépourvues de couverture médicale, mais la redistribution ne disparaît pas, elle revêt d'autre formes : au formulaire se substitue le revolver. Et le pur libéralisme aboutit, comme au XIXe siècle - par hypothèse - à une confusion du social et du pénal : pour préserver le bonheur des riches, recours à une incarcération massive des pauvres, des trouble-fête (31). Ce qui est une façon de les prendre entièrement en charge... On nous permettra de ne pas être emballé par cette protection sociale/Avoriaz.

Heureusement, c'est bien connu, la mode, c'est ce qui se démode... Le flamboiement des thèses ultralibérales n'aura été qu'un feu de paille (32), plutôt ridicule (33).

D'ailleurs, en dépit de ces soubresauts irresponsables, quantité d'efforts ont été patiemment accomplis pour tenter de conférer un peu plus de cohérence à notre système de protection sociale. Il y aura fallu près d'un demi-siècle, mais tout de même, les cotisations maladie et famille ont fini par être entièrement déplafonnées. Un important réseau de revenus minima constitue, autour des régimes légaux et, pour l'essentiel, à la charge de la collectivité nationale, un filet de protection qui permet à des millions de personnes d'échapper à la pauvreté absolue : le système s'est fortement beveridgisé... La substitution de la CSG à une fraction des cotisations sociales est allée dans le sens d'une plus grande équité (34). La création du fonds de solidarité vieillesse et demain, parait-il, d'un fond de solidarité maladie marque également la volonté de ventiler les responsabilités de façon plus rationnelle. Même observation pour la prise en charge, par l'Etat, des cotisation dont sont exonérés les salaires de diverses catégories de personne appelant sollicitude particulière, etc., etc... Beaucoup a été fait.

Encore plus reste à faire, demain, maintenant. Notamment sur deux plans très différents même s'ils s'entrecroisent parfois : celui de la « fracture sociale », celui de l'assurance maladie (35); etc. Problèmes immenses qui vont ici être évoqués par d'autres, mais derrière lesquels se profile plus que jamais la grande question : celle de la solidarité. Le recours systématique et anesthésiant aux cotisations patronales avait permis de l'éluder. Elle revient en force sur la scène : on n'échappera pas éternellement à un vrai débat, à une opération-vérité.

Mais il est vrai qu'un système de sécurité sociale ne peut produire plus de solidarité qu'il n'y en a dans la société elle-même...





(1) En septembre 1995, Droit social a publié un numéro spécial (n° 9/10) consacré à la protection sociale de demain L'hôpital en 2025, par Jean Choussat, p. 792.
(2) Sur le passéisme forcené des français, v. l'ouvrage très amusant et très pertinent de F. Reynaert, Une fin de siècle, Calmann-Levy 1994, qui y voit une forme particulière de nécrophilie.
(3) Pourquoi a-t-on été, consciemment ou inconsciemment, aussi respectueux des intérêts des nantis ? La question mérite étude approfondie.
(4) Le plus catastrophique fut certainement la consécration d'un droit de chaque praticien, en tant que tel, à collaborer avec le service public. Pure folie dont l'assurance maladie subit toujours les conséquences, un demi-siècle plus tard.
(5) Droit à une pension fut reconnu dès 60 ans, mais la pension n'était portée à 50 % d'un salaire plafonné très bas qu'à 65 ans.
(6) V. notre Précis Dalloz, Droit de la Sécurité sociale, 12e éd., N° 185 et p. 202.
(7) Les cotisations versées au-delà de trente ans n'avaient aucune incidence, alors que la carrière normale d'un ouvrier était de cinquante ans... En clair : au-delà de trente ans, les cotisations d'un OS finançaient les pensions de catégories plus aisées.
(8) Si l'on admet que les cotisations dites patronales sont des retenues à la source identiques aux cotisations salariales (v. infra), un ménage ouvrier percevant deux salaires ou plus pouvait, avec un revenu moindre, être imposé plus lourdement que le ménage d'un cadre supérieur, avec moins de prestations à la clé... v. notre Précis N° 187 et s.
(9) Les assurances sociales de 1930 intégraient un plafond d'affiliation destiné à en réserver le bénéfice aux salariés les plus modestes. Ce plafond d'affiliation a été supprimé en 1945, et lui a été substitué un plafond de cotisation : les nouveaux venus étaient ainsi invités à bénéficier du système sans payer plus que les salariés au plafond... Une bonne affaire !
(10) Ainsi un point de cotisation salariale réduit d'autant le revenu disponible du smicard, mais de façon purement symbolique - une poussière de point... - celui du cadre supérieur. V. les sarcasmes justifiés de l'ultra-libéral J.-J. Rosa - « Les riches sont les plus aidés » - qui prône la réintégration des cotisations dans le revenu imposable, Le Figaro 6 novembre 1992.
(11) Dès 1946, les cotisations patronales sont grosso modo trois fois plus importantes que les cotisations salariales.
(12) Le plafonnement des cotisations patronales laisse tout de même perplexe...
(13) V. notre Précis N° 178.
(14) A population salariée supposée constante.
(15) Innombrables statistiques européennes sur ce point.
(16) Faudrait-il chanter les mérites d'un système qui plafonnerait au plus bas l'assiette des cotisations/maladie en en élevant le montant à hauteur nécessaire ? Les bien-portants seraient toujours solidaires des malades...
(17) Ce chiffre est maintenant repris par tous les rapports. V. notre Précis p. 197 avec tableau extrait de notre article dans Le monde 4 oct. 1983. M. A. Juppé a proposé un tableau très voisin dans Le Monde 21 mai 1987.
(18) Les statistiques OCDE donnent pour 1992, les chiffres suivants :
Cotisations sociales : 
• Moyenne OCDE : 9,9 % du PIB
• Moyenne CEE : 11,3 % ...
• France : 19,5 % ...
... Impôt sur le revenu : 
• Moyenne OCDE : 11,5 % du PIB
• Moyenne CEE : 11,4 % ...
• France (CSG incluse) : 6 %
(19) V. notre article précité, Le Monde 21 mai 1987 et l'étude beaucoup plus approfondie de G. Malabouche, Ec. et Stat. INSEE mars 1991, montrant que « le système de prélèvement français se caractérise par une quasi-proportionnalité qui contraste avec la nette progressivité observée à l'étranger ».
Il convient toutefois de souligner que ces deux articles sont antérieurs au déplafonnement total des cotisations de l'assurance maladie et des prestations familiales. On se reportera désormais au rapport DUCAMIN.
(20) La grande presse faisait état des conclusions de ce rapport le jour même où ces lignes étaient écrites.
(21) Scénario de « restitution » repris par la fameuse note Balladur, Dr. soc. 1992, 159.
(22) Le mot « solidarité » pour désigner ce qui doit relever de la solidarité nationale, donc de l'impôt : prestations familiales en premier lieu, mais éventuellement dépenses de santé, etc. Le mot « assurance », lui, n'est pas très heureux. Mieux vaudrait parler de « report » s'agissant des prestations constituant un substitut des gains professionnels et relevant plutôt de la notion de salaire. Cette distinction devait, par la suite, connaître un vif succès : v. infra.
(23) Quoique l'on imagine difficilement plus fallacieux que le fait d'isoler une composante particulière de la rémunération du travail, les employeurs ne furent pas tellement fâchés de pouvoir invoquer le taux record de leurs charges sociales... Pour le corps médical, soumis à des contrôles symboliques, le système était quasiment idéal. Quant aux syndicats, leur souci principal fut de conserver la gestion du système et de s'opposer à toute démarche susceptible de remettre en question leurs pouvoirs, réels ou fictifs, tout en dénonçant avec la plus grande véhémence la faiblesse extrême du smig, puis du smic ...
(24) V. note suivante.
(25) Tous les politiciens nous ressortent régulièrement cette niaiserie, notamment - est-ce un hasard ? - ceux de la droite la plus épaisse. On remarquera que ce système, « le meilleur du monde », est inapte à couvrir les frais dentaires des enfants... et, d'une façon plus générale, que son assurance maladie, la plus chère du monde - si record mondial il y a, il est là - doit-être complétée, à grands frais, par la mutualité...
(26) Autre fleur increvable de la langue de bois : les français sont « attachés à leur sécurité sociale... » Pas un ministre spécialisé qui ne lui soit lui-aussi « attaché ! ». Dernière en date : madame Codaccioni, elle aussi « attachée » : qu'attend-on pour la détacher ?
Dans la même anthologie, « la dernière chance » de la médecine libérale, déjà donnée 5478 fois à cette dernière... Etc, etc. C'est ce que l'on appelle le comique de répétition... Mieux vaudrait peut-être dire ici le tragique de répétition car, faut-il le rappeler, toute langue de bois est la résultante d'une vitrification des esprits.
(27) Mais les managers de l'assurance maladie ont bien raison de souligner que si l'État reprenait à sa charge ce qui lui revient, les comptes seraient tout autres ! V. not. J.-C. Mallet, Pour une clarification des comptes, Dr. soc. 1994, 1018.
(28) Le problème reste un problème de clarification pour J. Chirac : « Clarifier, c'est aussi distinguer parmi les dépenses sociales celles qui relèvent de la solidarité nationale et doivent donc être prise en charge par l'État... » Une nouvelle France I, 1994, p. 55.
Notons que plusieurs auteurs, particulièrement éminents, se montrent, dans ce numéro, extrêmement réservés à l'endroit de cette distinction.
(29) On a eu droit alors à un déluge incroyable d'articles, ouvrages, affiches, discours imputant à ces prélèvements tous les maux de notre société. Avec des slogans d'une rare sottise : « Les Français travaillent un jour sur deux pour l'Etat » etc., etc.
Or, lorsqu'après le changement de majorité de 1986, le gouvernement de Jacques Chirac a fait savoir de façon suffisamment claire - suppression de l'impôt sur la fortune, p. ex. - que les intérêts des plus aisés seraient préservés, ces fulminations paroxystiques ont instantanément pris fin. Ce qui laisse entendre que c'est moins le montant de ces prélèvements qui importe aux catégories privilégiées que leurs structures...
On rappellera que ces prélèvement ont augmenté de près d'un point par an pendant le septennat Giscard d'Estaing, qu'ils ont également augmenté pendant la période de cohabitation, qu'après tassement ils se sont à nouveau réalourdis sous le gouvernement d'E. Balladur et que toutes les mesures prises par le Gouvernement d'A. Juppé laissent prévoir de nouveaux progrès.
V. not. sur ces prélèvements le N° spécial de Droit social, mars 1990, avec notre article « Une ténébreuse affaire » ; A. Euzeby, Les prélèvements obligatoires sont-ils excessifs ? Dr. soc. 1994, 319, qui montre notamment l'absence de relation entre le montant de ces prélèvement et le taux de chômage.
(30) Je vise ici les thèses néolibérales dont on aura un intéressant aperçu en lisant l'ouvrage de Garello, Lemennicier et Lepage, Cinq questions sur les syndicats, PUF, 1990, et notre analyse : Dr. soc. 1991, 1. On en retiendra que toutes les lois sociales, y compris celles sur le travail des enfants, n'ont été que « régression » etc., etc...
(31) Le nombre de personnes incarcérées aux Etats-Unis serait de l'ordre de 1 300 000, soit 5 à 6 fois plus, proportionnellement, qu'en France. On en arrive d'ailleurs à enchaîner les détenus pour faire des économies de gardiennage : le goulag libéral, géré par des entreprises privées...
(32) Il suffit de lister les mesures prises par Alain Madelin, qui en arrive à subventionner l'emploi, et à alourdir fortement les impôts. J'observe par ailleurs que pour l'assurance maladie, notre ami Guy Sorman ne suggère plus que de mettre en concurrence... les caisses de sécurité sociale : Le Figaro 23 janvier 1995.
(33) On est toujours sidéré par la précipitation avec laquelle nombre d'intellectuels français se rallient, en rang serrés, à la dernière mode.
(34) Dans la mesure où elle s'est substituée à des cotisations plafonnées, la CSG marquait un progrès. A défaut d'une telle substitution, la CSG devient beaucoup plus discutable : il s'agit d'un impôt sur le revenu sur le premier franc, quels que soient le montant de ce revenu et les charges de son titulaire.
Ajoutons que pour assurer l'équité d'une substitution s'inscrivant dans un jeu très complexe, le gouvernement Rocard avait institué une ristourne de 42 F, qui n'était pas absolument ridicule pour le smicard. Elle a été supprimée par le gouvernement Juppé.
(35) Là se concentrent les difficultés les plus redoutables. Les prises de position de l'actuel ministre de la Santé, madame E. Hubert, lorsqu'elle était députée de l'opposition, traduisaient le refus inconditionnel de toute mesure déplaisant au corps médical. Cette attitude conduirait inévitablement à laisser s'élargir le décalage entre frais réels et remboursements, ceux qui en ont les moyens étant invités à avoir recours à des mutuelles ou assurances. Quant aux autres, pas besoin de faire un dessin ! Un demi-siècle après, les solutions de 1945 diffusent toujours leurs métastases.



Share by: