Dialogue 11

Quel dialogue social en temps de crise ?


Yves VEYRIER
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Secrétaire général de FO
La crise sanitaire a contraint le Président de la République et le gouvernement à rompre avec une vision du dialogue social et de la négociation collective renvoyés au seul niveau de l’entreprise, qui avait nourri la controverse et la contestation depuis la loi Travail et les ordonnances de 2017. Mais cela vaut aussi pour le patronat à l’évidence lui-même moins enclin à l’égard du niveau national interprofessionnel. Ainsi, après avoir profité du Premier conseil des ministres extraordinaire du samedi 29 février, consacré à la crise sanitaire, pour décider de recourir à l’article 49-3 de la Constitution et accélérer l’adoption de son projet de réforme des retraites, pourtant très largement contesté, le gouvernement a sollicité plus que jamais depuis très longtemps les interlocuteurs sociaux. Le président de la République a reçu à plusieurs reprises les représentants des organisations syndicales et d’employeurs. Des réunions hebdomadaires ont eu lieu quasiment sans discontinuer, consacrées au suivi des mesures mises en œuvre tant sur le plan sanitaire que sur le plan de l’accompagnement économique et social, où les interlocuteurs sociaux avaient la capacité de faire connaître leurs points de vue. Avec quelques difficultés dans un premier temps, ce type d’information – consultation a été décliné dans les régions et départements.

Cela tient au fait que, dans le même temps, les organisations syndicales ont été très sollicitées par les salariés, notamment dépourvus de représentation locale dans l’entreprise, tant face aux circonstances sanitaires (moyens et organisations du travail protecteurs) qu’économiques et sociales (activité partielle, travail à domicile notamment).

La perspective d’une sortie de crise cet été, et la nomination d’un nouveau gouvernement dans ce cadre, a donné lieu immédiatement à une réunion dite « conférence du dialogue social », entre le Premier ministre et les interlocuteurs sociaux, consacrée à la mise en place d’un agenda social nourri de propositions émanant des organisations syndicales. La situation sanitaire et ses conséquences sociales ont contraint le gouvernement à suspendre ou reporter des réformes particulièrement contestées (retraites et assurance chômage).

Au titre des résultats obtenus, on doit souligner le dispositif d’activité partielle de longue durée (cf. ci-dessous) avec un niveau d’indemnisation des salariés concernés maintenu à 70% du salaire brut, ou encore un nouveau dispositif de transitions collectives visant à faciliter la reconversion pour les salariés dont l’emploi serait menacé. Il devait être opérationnel dès le 1er janvier. 

Si le rythme des réunions régulières sur le suivi de la situation reste soutenu, nous avons cependant regretté d’avoir à plusieurs reprises non pas été consultés mais simplement informés sur des sujets importants, y compris contestés : sur la possibilité de déroger au temps de travail et de repos (qui n’a cependant pas été activée jusqu’alors), les délais de consultation des CSE ou certaines modalités de l’évolution de l’activité partielle… 

""Si le rythme des réunions régulières sur le suivi de la situation reste soutenu, nous avons cependant regretté d’avoir à plusieurs reprises non pas été consultés mais simplement informés sur des sujets importants, y compris contestés : sur la possibilité de déroger au temps de travail et de repos (qui n’a cependant pas été activée jusqu’alors), les délais de consultation des CSE ou certaines modalités de l’évolution de l’activité partielle… "
Cela nous a conduit à nous adresser au Premier Ministre en juin considérant que l’urgence sanitaire ne pouvait justifier le maintien d’un régime d’exception autorisant le gouvernement à décider par ordonnances et décrets en s’affranchissant de ses obligations en matière de consultations, et en conséquence à lui demander d’y mettre fin.

Tout au long de la période, FO a de nombreuses fois mis en avant que les conditions d’un dialogue social effectif n’étaient pas suffisamment respectées et que toute l’attention devait être concentrée sur les besoins prioritaires liés à la situation de crise sanitaire. 

A nouveau, en octobre, FO a, à son initiative, cosigné avec les autres confédérations représentatives un courrier adressé au Premier ministre pour demander que le dialogue social se traduise par une écoute et une réponse effective de la part des pouvoirs publics, demandant en particulier une réunion permettant d’aborder les conséquences négatives des ordonnances de 2017 sur la capacité de représentation collective des salariés. Dans ce courrier, nous demandions aussi que des réponses concrètes soient apportées quant à la reconnaissance des travailleurs dits de la deuxième ligne et rappelions notre position conjointe sur la nécessité d’abandonner la réforme de l’assurance chômage et de ne pas remettre à l’ordre du jour le sujet des retraites. 

"Dans certaines situations, l’exercice du droit syndical en a été rendu plus difficile. Les délégués pointent souvent une dégradation du dialogue social, la perte de proximité avec les adhérents et les salariés, l’impossibilité pour les processus d’information consultation des IRP de se tenir dans les délais impartis ou dans des conditions satisfaisantes. Les réunions en visioconférence trouvent vite leurs limites, aussi pour des raisons techniques, parce qu’elles ne sont pas adaptées à certaines situations, comme la négociation de PSE, qui peut conduire à régler le sort de salariés au téléphone"
Sur le terrain, alors que le dialogue social est invoqué par les pouvoirs publics pour la mise en œuvre des dispositions sanitaires, FO est intervenue à plusieurs reprises pour que soit garanti le libre exercice des droits syndicaux et de représentation des personnels, notamment en permettant la libre circulation des représentants du personnel et des délégués syndicaux, ce que nous avons obtenu. En pratique, si les réunions en présentiel restaient autorisées en cas d’urgence et dans le respect des consignes sanitaires, les réunions de CSE à distance, par audio ou visioconférence, sont devenues la règle. 

Dans certaines situations, l’exercice du droit syndical en a été rendu plus difficile. Les délégués pointent souvent une dégradation du dialogue social, la perte de proximité avec les adhérents et les salariés, l’impossibilité pour les processus d’information consultation des IRP de se tenir dans les délais impartis ou dans des conditions satisfaisantes. Les réunions en visioconférence trouvent vite leurs limites, aussi pour des raisons techniques, parce qu’elles ne sont pas adaptées à certaines situations, comme la négociation de PSE, qui peut conduire à régler le sort de salariés au téléphone. 

Cependant, là où le dialogue social et la négociation collective ont, soit par tradition soit du fait des circonstances, été privilégiés, des accords ont été négociés pour tenter d’enrayer les conséquences de la crise économique et préserver l’outil industriel, les emplois et les compétences. Alors que la liste des entreprises frappées par les suppressions d’emplois n’a cessé de s’allonger, la détermination des délégués FO a contraint dans certains cas les directions à s’engager à ne pas procéder à des licenciements contraints. 

Dans les branches, c’est à l’initiative de la fédération FO de la métallurgie qu’a été négocié et signé le 18 mai un texte paritaire initiant un système d’APLD (activité partielle de longue durée). Ce nouveau type d’accord collectif permet à l’entreprise de bénéficier d’une indemnisation au titre de la réduction de l’horaire de travail en échange d’un engagement de l’employeur de maintien de l’emploi. Pour FO, la mise en œuvre de ce dispositif doit être favorisée pour éviter les suppressions d’emploi sous la forme de PSE, RCC ou plan de départ volontaire. 

Enfin, fait plutôt rare, deux accords nationaux interprofessionnels ont été conclus presque simultanément en fin d’année. FO plaidait auprès du patronat fortement sur ces deux sujets, bien avant que ne surgisse la crise sanitaire. Si, sur la santé au travail, il avait été convenu début 2020 que nous engagerions une négociation, il a fallu que surgisse le confinement et le travail à domicile massif, pour convaincre le patronat de la nécessité d’une négociation sur le télétravail. Au-delà des dispositions qu’ils contiennent, des protections pour les salariés qu’ils améliorent, du rôle de la négociation qu’ils confortent, l’enjeu pour FO était de maintenir et de renforcer la politique conventionnelle, la pratique contractuelle et le paritarisme, en s’affranchissant de l’ingérence de l’Etat et en réinstallant dans les esprits le rôle essentiel du niveau national interprofessionnel.


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