Dialogue 13

Quel dialogue social en temps de crise ?


Paul-Henri ANTONMATTEI
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Professeur à l'Université de Montpellier
Doyen honoraire
Of Counsel Bredin Prat
L’urgence aurait pu assécher le dialogue social et laisser place libre au seul pouvoir de l’employeur pour faire face aux redoutables conséquences économiques et sociales de l’épidémie de Covid-19. Il n’en a rien été. Certes, l’employeur a été autorisé à imposer des dérogations temporaires en matière de durée du travail et de repos. Mais les pouvoirs publics n’ont pas fait l’impasse sur le dialogue social et ont notamment confirmé la dynamique contemporaine de l’accord collectif. Voilà qui est rassurant. 

En temps de crise, plus que jamais la solidarité doit être de mise et les règles dérogatoires qu’impose une situation exceptionnelle sont d’autant plus légitimes et efficaces qu’elles résultent d’un dialogue. Les pouvoirs publics l’ont bien compris en adaptant les modalités de consultation du comité social et économique (délais, réunions, élections…) et en facilitant une conclusion plus rapide des accords collectifs (réunions de négociation collective en visioconférence ou en audioconférence, signature électronique, dispositif électronique de recueil de l’approbation des salariés à distance…). L’essentiel a été préservé. Reste que la contraction des délais et le développement d’un dialogue à distance ne peuvent relever que d’un régime d’exception. Le retour à une activité normale doit sonner la restauration d’échanges en présentiel même si la visioconférence, à la marge, peut avoir une utilité récurrente. Dommage que l’intervention étatique ait suscité du contentieux sur la pertinence de ces modalités dérogatoires du dialogue social. La crise sanitaire n’est évidemment pas une justification qui masquerait une dégradation pérenne de la qualité du dialogue social pour autant qu’elle soit cantonnée à cette situation. L’épreuve vécue devrait alors conduire, plus fréquemment, à façonner pour demain, par la voie conventionnelle, des délais de consultation du CSE ou de négociation collective adaptés à ces situations d’urgence. 
"La crise sanitaire n’est évidemment pas une justification qui masquerait une dégradation pérenne de la qualité du dialogue social pour autant qu’elle soit cantonnée à cette situation. L’épreuve vécue devrait alors conduire, plus fréquemment, à façonner pour demain, par la voie conventionnelle, des délais de consultation du CSE ou de négociation collective adaptés à ces situations d’urgence"
La confiance étatique placée dans la négociation collective s’est surtout manifestée avec le dispositif d’activité partielle de longue durée (APLD). A nouveau, l’urgence aurait pu conduire à en réserver l’accès à la seule décision unilatérale et ce d’autant que le régime emprunte au droit commun de l’activité partielle. Le choix de l’accord (accord conclu dans un périmètre de l’entreprise ou accord de branche étendu indispensable à une déclinaison par voie unilatérale) est en phase avec le développement de la négociation collective en matière d’emploi. L’engouement constaté pour l’APLD n’invite-t-il pas à une pérennisation du mécanisme ? Après tout, l’activité partielle de droit commun est bien un dispositif permanent dont le régime peut être temporairement adapté à une crise exceptionnelle. Il peut en être de même pour l’APLD et ce d’autant qu’il y a d’autres situations qui provoquent une réduction d’activité durable qui n’est pas de nature à compromettre la pérennité de l’entreprise. Il suffit d’admettre que ce dispositif n’est pas réservé aux seules situations de crise. L’intérêt de l’APLD est bien de maintenir l’emploi moyennant une réduction temporaire de la durée du travail plutôt que de licencier…et d’embaucher ultérieurement lors d’un retour à une activité plus soutenue, pratique trop fréquente et néfaste.
"L’engouement constaté pour l’APLD n’invite-t-il pas à une pérennisation du mécanisme ? Après tout, l’activité partielle de droit commun est bien un dispositif permanent dont le régime peut être temporairement adapté à une crise exceptionnelle"
Les négociations en temps de crise ouvrent aussi la voie à des accords plus structurants. Les thèmes ne manquent pas. Ainsi en est-il du télétravail. En cas d’épidémie, cette modalité particulière d’exécution du travail permet de préserver à la fois l’activité et la santé du salarié. Nombreux sont les salariés et les employeurs qui l’ont ainsi découvert. Le développement prévisible du télétravail ne saurait toutefois se fonder sur cette séquence d’un télétravail « contraint », permanent et sans préparation, comme l’ont bien exprimé les signataires de l’accord national interprofessionnel du 24 novembre dernier. Le principe est celui du télétravail choisi ; la pratique la plus adéquate est celle de l’hybridation (un ou deux jours par semaine de télétravail) ; les locaux doivent être aménagés et le sur-mesure doit être recherché via l’accord collectif. La santé au travail doit s’inscrire dans la même dynamique de négociation aussi bien pour répondre à l’exigence renforcée de prévention souhaitée légitimement par les signataires de l’ANI du 9 décembre 2020 que pour préparer, demain, l’entreprise à mieux gérer une nouvelle crise sanitaire. Enfin, on pressent que l’accord de performance collective qui, a pu, dans une version défensive, permettre à des entreprises de faire face à la crise, en dépit d’une concurrence de l’APLD, contribuera demain à mieux organiser la relation de travail dans un contexte de variation d’activité.

"Enfin, on pressent que l’accord de performance collective qui, a pu, dans une version défensive, permettre à des entreprises de faire face à la crise, en dépit d’une concurrence de l’APLD, contribuera demain à mieux organiser la relation de travail dans un contexte de variation d’activité"
Toute situation de crise révèle les forces et les faiblesses des organisations humaines. Elle impose de se dépasser et de dépasser les blocages, les clivages, les habitudes… Les nombreux accords Covid-19 confirment la fonction organisationnelle de la règle conventionnelle et expriment une maturité sociale propice à façonner, au-delà des pratiques, une véritable culture de la négociation collective. Voilà qui confortera ceux qui, depuis des années, ont fait le pari du dialogue social.

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