Il n’a pas fallu attendre la crise sanitaire que traverse notre pays pour que notre droit du travail soit adapté à une situation de crise. Certes, la crise sanitaire actuelle justifie sans doute, dans certains domaines, un droit d’exception mais celui-ci ne saurait perdurer.
En revanche, la crise de l’emploi que nous connaissons depuis des années avec la permanence d’un chômage de masse, a été l’occasion pour les gouvernements successifs de remodeler notre droit du travail afin d’accompagner la libéralisation du marché du travail, et ce, de manière durable.
Il y a donc deux axes : l’un structurel, l’autre conjoncturel. Le second peut d’autant plus facilement se concrétiser que le premier est déjà en place.
Dans un cas comme dans l’autre, le dialogue social, élément de langage politiquement correct pour désigner la négociation collective et qui permet de créer l’illusion que les organisations syndicales et patronales sont sur un pied d’égalité, est régulièrement convoqué pour justifier le plus souvent une régression des droits des salariés au nom de la défense de l’emploi. En ce sens, sur le champ de bataille, les armes dont dispose chaque camp sont déséquilibrées.
L’axe structurel
Le cadre général est connu. Tant la loi de sécurisation de l’emploi du 14 juin 2013 que la loi travail du 8 août 2016 et les ordonnances de septembre et décembre 2017 ont conféré aux accords d’entreprise, avec l’alibi de l’accord majoritaire, une autorité supérieure à l’accord de branche, même si ce dernier contient sur tel ou tel point des dispositions plus favorables aux salariés, dès lors que l’accord d’entreprise respecte le socle minimal de droits fixés par la loi, lequel peut être limité à l’énonciation de grands principes. Cette neutralisation du principe de faveur soumet le résultat de la négociation collective, et donc la fixation des règles régissant la relation de travail, au rapport des forces existant dans l’entreprise, plutôt défavorable aux salariés en période de récession économique. C’est la généralisation d’un droit du travail à la carte au détriment de l’autorité de la loi pourtant garante de l’intérêt général. Selon que la crise traversée est plus ou moins importante, le « dialogue social » s’en trouve d’autant plus déstabilisé au profit des entreprises. C’est le cas lorsque le chantage à l’emploi devient une pratique courante et qu’il est légitimé par des accords collectifs dit de performance collective (APC) où les syndicats, révolver sur la tempe, sont sommés de consentir à des baisses de salaires pour éviter des licenciements, ce qui place les salariés face à un choix qu’ils ne devraient pas supporter : faire des concessions sur leurs droits ou perdre leur emploi.