Dialogue 7

Quel dialogue social en temps de crise ?


Yasmine TARASEWICZ
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Avocat associé, Proskauer
A l’occasion de la crise sanitaire dévastatrice que nous connaissons depuis bientôt un an, l’on a parfois lu ou entendu qu’en chinois, le mot « crise » s’écrivait à l’aide de deux idéogrammes dont l’un signifiait « danger » et l’autre « opportunité ». Ce qui est certainement une façon de montrer qu’existe une lueur d’espoir au bout du tunnel pourrait sans doute aussi qualifier les enjeux auxquels le dialogue social est confronté en temps de crise.

Les brusques manifestations de déséquilibre, qui caractérisent une crise, appellent souvent une réaction urgente de toutes les parties prenantes. Pour éviter le pire, dans l’entreprise comme ailleurs, la tentation peut être grande d’accepter par accord ce qu’en temps normal l’on pourrait être enclin à rejeter fermement. Dans la sphère du droit social, cela pourrait être par exemple l’adoption, par accord, d’un modèle de dialogue social largement empreint de virtualité pour éviter que tout dialogue social ne disparaisse, l’acceptation de fortes indemnités dans le cadre d’un PSE plutôt que de solides mesures d’accompagnement afin de parer à l’urgence financière à laquelle certains salariés précarisés par la crise pourraient être confrontés, ou encore l’utilisation des accords de performance collective sans analyse sérieuse de leur adéquation avec la situation réelle de l’entreprise dans le but immédiat de sauver des emplois. Si l’on peut comprendre, côté employeur comme côté salariés, la tentation d’entrer dans de telles logiques pour parer à l’urgence, il faut aussi se méfier des conséquences durables que ces décisions vécues comme passagères au moment de la signature de l’accord pourraient avoir. Pour ne prendre qu’un exemple, au sein d’un groupe de sociétés, même si le PSE intervenu dans l’une des sociétés le composant n’a pas de force obligatoire à l’égard des autres entités, il n’est pas si facile de se débarrasser du référentiel que constitue une forte indemnité supra légale acceptée par accord dans l’une des entreprises du groupe. Crise sanitaire ou pas, elle apparaitra toujours comme le minimum à appliquer au sein de ce groupe.
"Pour éviter le pire, dans l’entreprise comme ailleurs, la tentation peut être grande d’accepter par accord ce qu’en temps normal l’on pourrait être enclin à rejeter fermement"
Syndicats comme entreprises devront donc se montrer vigilants et penser à l’avenir lorsqu’en temps de crise ils négocient des mesures qui, dans leur esprit, n’ont pas vocation à perdurer. Il en va de ces décisions comme de la restriction apportées en tant de crise aux libertés individuelles, leur caractère temporaire ne peut, au bout du compte, n’être qu’illusion.

Cette vigilance apparait d’autant plus nécessaire que le dialogue social et les accords qui en résultent jouent aujourd’hui un rôle crucial dans l’entreprise. Il ne s’agit plus seulement d’améliorer conventionnellement le sort des salariés, il s’agit bien souvent de suppléer la loi. Et c’est là que l’usage du dialogue social en temps de crise peut constituer une opportunité pour l’avenir.

Alors que la communauté de travail dans l’entreprise vivait, depuis les lois Auroux, sous le règne de la décision unilatérale de l’employeur contrôlée par le Comité d’entreprise sous l’arbitrage ultime du juge judiciaire, le législateur a entamé un revirement brutal au début des années 2010 en confiant à l’accord d’entreprise toujours plus d’importance. Ainsi, et là encore pour ne prendre que quelques exemples, l’existence d’un accord peut restreindre le contrôle de l’Administration en matière de PSE, décider de modalités d’information et de consultation des instances représentatives du personnel dérogeant à la loi qui n’apparait plus que supplétive de la volonté des parties en bien des aspects, ou encore organiser la sortie des effectifs d’un nombre important de salariés sans réelle justification à avancer et avec une simple information du CSE.

"Syndicats comme entreprises devront donc se montrer vigilants et penser à l’avenir lorsqu’en temps de crise ils négocient des mesures qui, dans leur esprit, n’ont pas vocation à perdurer. Il en va de ces décisions comme de la restriction apportées en tant de crise aux libertés individuelles, leur caractère temporaire ne peut, au bout du compte, n’être qu’illusion"
De la loi de sécurisation de l’emploi aux ordonnances Macron, il n’y a que quatre ans, et ce brusque passage de l’unilatéral au conventionnel a beau avoir été voulu et décidé par le législateur, il n’en a pas pour autant donné aux parties concernées dans le champ de l’entreprise la volonté et/ou maturité nécessaire pour créer de la Norme....

La présente crise qui oblige les parties prenantes dans l’entreprise à se concerter dans de nombreux domaines pour prendre des décisions essentielles et équilibrées dans un contexte de profond déséquilibre constitue sans doute un facteur d’accélération et de progrès du dialogue social en entreprise. Qu’il s’agisse d’organiser l’activité en temps de confinement dans le respect des règles d’hygiène et de sécurité, la reprise effective de cette même activité après le confinement ou encore de dessiner les modalités d’un dialogue social à distance, de nombreux accords ont été conclus dans les entreprises sans qu’au bout du compte le juge n’ait eu beaucoup à se prononcer sur leur validité ou leur contenu.

"La présente crise qui oblige les parties prenantes dans l’entreprise à se concerter dans de nombreux domaines pour prendre des décisions essentielles et équilibrées dans un contexte de profond déséquilibre constitue sans doute un facteur d’accélération et de progrès du dialogue social en entreprise"
C’est peut-être, espérons-le du moins, que ce chaos sanitaire aura donné un élan à la négociation d’entreprise, tout en conférant aux acteurs une « maturité forcée » qui pourrait permettre à ceux-ci de s’engager dans le dialogue social, ô combien nécessaire, de la reconstruction, une fois ce tsunami sanitaire achevé. Ainsi que l’écrivait CG Jung, les bouleversements servent aussi à explorer de nouveaux territoires.

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