Le dialogue social en période de crise a joué le rôle de révélateur de son utilité. Mais aussi de ses failles et des dégâts causés par les trains successifs de réformes visant à l’affaiblir.
Le dialogue social existe parce que les partenaires sociaux identifient un danger et négocient pour trouver les moyens d’y faire face. Ce danger dans l’Histoire a presque toujours pris la forme des mouvements sociaux générés par des conditions de salaire, d’emploi, de travail, insatisfaisantes.
Le rapport de force ne sert pas à autre chose qu’à créer la potentialité d’une rupture, pour contraindre à la négociation, et la négociation existe parce qu’est perçu par les partenaires sociaux le danger de laisser la rupture se consommer puis s’étendre. Au fur et à mesure de l’évolution de la société, tout au cours du vingtième siècle, et de la perception de l’atout que représentait une collectivité de salariés formés, qualifiés, ingénieux, ainsi que de l’avantage politique d’une paix sociale garantie par l’élévation générale des conditions de vie et de travail des salariés, se construit un modèle sophistiqué de dialogue social produisant ses effets sur deux dimensions de conquête : le paritarisme d’un côté et la négociation professionnelle, de l’ANI aux accords d’entreprise, de l’autre.
Pendant la seconde partie du 20ième siècle, l’articulation « additionnelle » des normes conventionnelles va garantir une croissance, dans un contexte économique toujours plus concurrentiel, à l’abri du dumping social. La place de « cerise sur le gâteau » laissée à la négociation d’entreprise permettra certes aux entreprises riches et de dimension importante de faire la différence sur le plan social, mais la négociation de branche garantira dans le même temps à tous les salariés d’un même secteur des minimas, des évolutions, un socle de droits et de perspectives propres à fidéliser les salariés dans un secteur d’activité commun, tout en permettant de la mobilité fonctionnelle, géographique et interentreprise.
Dans le même temps, la construction paritaire verra la naissance puis le développement de couvertures risques (chômage, retraite, maladie, logement, formation) originales, indépendantes de la sphère publique, hors champ concurrentiel, dirigées et gérées par les financeurs, c’est-à-dire les partenaires sociaux. Bref, la partie qui conte l’histoire du salariat et de la construction sociale va de la fin du 19ième siècle jusqu’à la seconde guerre mondiale et verra la mise en place des fondations. Les partenaires se structurent, les périmètres de négociation s’affirment, et les sujets de conquête se précisent. Au cours de la seconde partie du 20ième siècle, le dialogue social s’étoffe, se complexifie en ce sens qu’il s’affine et se sophistique au fur et à mesure que le monde des entreprises se complexifie également. Dans cette période, les amortisseurs sociaux se construisent, des parapluies se développent face aux risques et les salariés sont dotés de moyens individuels mais surtout collectifs pour trouver des réponses adaptées aux défis croissants de la construction d’une carrière.
Ne nous y trompons pas, cette évolution, positive, est tout autant la résultante de combats sociaux, de vision patronale davantage tournée vers la croissance interne que le développement financier, d’un contexte économique porteur que, et il est nécessaire de le réaffirmer, un choix politique. Le choix d’accompagner le développement social, par la négociation et le paritarisme, dans une complémentarité de rôle et de périmètre avec le politique et la solidarité nationale, harmonieuse et démocratique.