Pourquoi ce sujet de thèse ?
L. B. : Alors que je m’étais engagée vers des études en philosophie et que j’avais commencé à travailler dans le secteur culturel, j’ai découvert le droit tardivement, au gré du hasard des rencontres, dont certaines furent déterminantes comme celle avec Corinne SACHS-DURAND. C’est elle qui m’a ouvert la voie du droit et qui, plus tard, m’a invitée à poursuivre mes réflexions vers un travail de recherche alors que je revenais d’un séjour au Cameroun.
Lors de ce séjour, j’ai vu observer les conditions de travail sur un chantier de construction de barrage qui regroupait des travailleurs camerounais, des travailleurs chinois et une maîtrise d’œuvre internationale. En tant que simple témoin, j’avais l’impression, pour paraphraser un livre de Nigel Barley, Un anthropologue en déroute, d’être moi-même une juriste en déroute qui assistait de manière impuissante et avec un sentiment de faillite du droit à la réalité des conditions de travail de ses ouvriers. Ces observations résonnaient avec la catastrophe du Rana Plazza et plus largement avec l’ensemble des catastrophes industrielles, sanitaires, environnementales, tant à l’échelle nationale qu’européenne et internationale.
De ce point de départ empirique, il est resté la nécessité impérieuse de questionner la place de la protection de la santé des travailleurs en droit du travail, ses évolutions, ses tensions. Et, au regard de ces réflexions, il s’est agi, finalement, de réinterroger le sens du droit du travail au prisme de la question de la protection de la santé des travailleurs.
Nicolas Moizard :
Les sujets de thèse sont souvent proposés aux doctorants. Dans le cas de Lorédane BESNIER, c’est elle qui en est à l’initiative. Le thème de la thèse est venu d’une expérience vécue par Lorédane BESNIER lorsqu’elle accompagnait son compagnon en déplacement professionnel en Afrique. Les conditions de travail et de vie des travailleurs sur un chantier international qu’elle a vu l’ont fait réagir en tant que juriste et philosophe. Outre un Master en droit social, Lorédane BESNIER est titulaire d’une maîtrise en philosophie. L’étudiante qui avait fait tout son cursus en régime salarié avait sans doute été aussi interpelée. Elle a rencontré à l’Institut du travail de Strasbourg, la professeure Corinne SACHS-DURAND, qui avait été son enseignante en Master 2, pour évoquer un projet de thèse. J’ai été associé à ce projet dès le premier entretien. Elle avait observé sur le chantier un montage international de sociétés, une organisation et un environnement de travail ne garantissant pas la santé des travailleurs, éloignés géographiquement et humainement de tout recours possible. Comment dès lors faire respecter les conditions élémentaires de la santé des travailleurs ? Celle-ci était largement compromise par les intérêts économiques en jeu sur ce chantier. Il y avait ici une illustration maltraitante de la mondialisation. Les recherches envisagées par Lorédane BESNIER devaient s’organiser autour de ce chantier. Très vite, elle a fait le constat d’une impossibilité matérielle d’accès aux sources qui ne lui permettaient pas de centrer sa recherche sur cette expérience. Le terrain de l’étude s’est alors élargi aux fonctions de la protection de la santé des travailleurs en droit du travail.
Quel est, selon vous, l'apport de la thèse au droit ?
L. B. :
Mon travail est nourri des travaux d’Alain SUPIOT, de Gérard LYON-CAEN sur la réversibilité du droit du travail, de Jérôme PORTA sur le droit du travail en changement, ou encore de ceux des juristes et philosophes du droit de l’école de Bruxelles, de Jacques COMMAILLE et de son livre A quoi nous sert le droit ?
pour ne citer qu’eux. Mais c’est un article de Frédéric GEA « A quoi sert le droit du travail » qui m’a permis de construire une grille de lecture à partir des fonctions du droit du travail.
La notion de fonction permet de comprendre le rapport qu’une partie entretient avec l’ensemble / le tout auquel elle appartient, tel le rôle d’un organe dans un organisme. Ainsi des fonctions, parfois opposées, peuvent coexister, se compléter. L’analyse des fonctions de la protection de la santé en droit du travail m’a donc permis d’aborder les perspectives plurielles du droit du travail, d’en revisiter les contours et les finalités.