L’enjeu est de proposer une grille d’analyse globale, à partir du jeu d’influences réciproques entre deux pôles. Premier pôle de l’hybridation, le régime du licenciement pour motif économique, reconfiguré à partir de 2013, n’en reste pas moins structurant : le contrôle administratif préalable et le recul de l’exigence de justification qui le caractérisent sont des marqueurs du droit des réorganisations qui émerge. Second pôle, les régimes soustraits au droit du licenciement génèrent, en s’émancipant, des contradictions, que le droit tente de dépasser en ayant recours à des procédés fictionnels, tels que le motif sui generis de licenciement ou encore l’effet impératif renforcé de l’accord collectif. Ces fictions modèlent et confèrent une cohérence au « droit des réorganisations » qui prend forme autour de tendances communes : l’effacement de l’information-consultation, mise au service de la négociation ; l’autorité renforcée de l’accord collectif, y compris à l’encontre du contrat de travail ; ou encore la généralisation du contrôle administratif préalable.,
PL :
L’apport est, double, selon moi. Hélène Cavat offre d’abord une vision d’ensemble des évolutions du droit des réorganisations, qu’avait notamment exploré Christine Neau-Leduc dans sa thèse sur la restructuration (LGDJ, biblio. dr. privé, tome 342, 2000). Elle redonne cohérence à toute une série de mouvements, parmi lesquelles l’essor du contrôle administratif, le reflux de l’information-consultation (délais préfixes, mise à l’écart pour la conclusion, la révision ou la dénonciation de accords collectifs, etc) ou encore la confiance de plus en plus grande qu’accorde l’ordre juridique au produit de la négociation collective. L’autre apport de la thèse concerne l’analyse très fine qu’opère Hélène Cavat des accords de performance collective (une thèse dans la thèse en quelque sorte). Une analyse qui s’appuie sur l’étude très précise des accords, auxquels Hélène a pu avoir accès dans le cadre d’une analyse pour le comité d’évaluation des ordonnances.
Quelles perspectives de recherche cette thèse ouvre-t-elle pour l'avenir ?
H. C. :
Éprouver l’hypothèse de l’émergence d’un droit des réorganisations a permis d’échafauder un cadre d’analyse qui vise à dépasser la simple juxtaposition des dispositifs pour discerner la dynamique qui préside à leur formation. Dynamique d’érosion sans nul doute, elle se distingue toutefois en ce qu’elle donne naissance à ce nouvel ensemble, ou « droit des réorganisations », sans la compréhension duquel on peine à saisir les logiques des nouveaux dispositifs.
Ainsi, ce cadre d’analyse a notamment permis de procéder, dans la thèse, à la première étude approfondie des accords de performance collective. Consultés avec l’autorisation de la Dares, dans le cadre du comité d’évaluation des ordonnances du 22 septembre 2017 piloté par France Stratégie, l’étude de ces accords aux contours et aux effets sans précédent a permis de confirmer leur déconnexion par rapport au maintien de l’emploi, de signaler de nombreux usages à la limite de la légalité et de pointer des difficultés juridiques majeures.
L’évolution de ces accords dans la pratique, dans des contextes économiques variables, tout comme l’enjeu du contrôle de ces accords, qui reste à construire sur le terrain jurisprudentiel, constituent des perspectives de recherche stimulantes. Plus largement, interroger les régimes de réorganisations de façon articulée, tel que le suggère la perspective défendue dans la thèse, ouvre des pistes pour analyser l’imbrication croissante de ces différents dispositifs, observée dans la pratique.
PL :
Cette thèse ouvre de belles perspectives de recherche. Nommée Maitre de conférences à l’Institut du travail de Strasbourg, Hélène Cavat aura l’occasion de développer de nouvelles recherches à l’avenir sur des questions en lien avec sa thèse, mais aussi sur d’autres questions, notamment de droit comparé puisque parmi ses très nombreuses qualités, Hélène Cavat est trilingue français-allemand-anglais.