Pourquoi ce sujet de thèse ?
Baptiste Delmas :
Ce sujet de thèse a émergé lors d’un colloque organisé à Bordeaux en 2013 sur l’accès à la justice sociale en droit international et comparé. La question de l’accès à la justice pour les personnes travaillant au profit d’une entreprise transnationale avait été abordée notamment, mais pas seulement, au regard des règles de compétence juridictionnelle. Cela faisait plusieurs fois que la doctrine travailliste et internationaliste avançait l’idée d’une compétence universelle du juge en droit du travail mais aucune étude n’avait réellement été menée sur le sujet. Nous avons donc décidé, avec Isabelle Daugareilh, de défricher ce terrain. Plus fondamentalement, ce sujet est posé à une date très proche de l’adoption par les Nations-Unies des principes dits « Ruggie » qui marquent une étape importante dans la réflexion – à défaut d’une élaboration – d’un droit contraignant à l’égard des entreprises. Jusque-là, le domaine était principalement occupé par les débats portant sur la responsabilité sociale des entreprises. Il y avait donc un contexte propice à aller voir de plus près, d’une part, les insuffisances des mécanismes RSE à garantir aux travailleurs une réparation en cas de violation de leurs droits et, d’autre part, si la technique de compétence universelle pouvait réellement s’avérer intéressante et praticable sur le long terme ou non.
Quel est, selon vous, l'apport de la thèse au droit ?
Baptiste Delmas :
Le principal objectif de cette thèse était de convaincre les lecteurs qu’en tant que technique, la compétence universelle, qui est issue du droit pénal international, a des arguments sérieux à faire valoir dans le champ du droit du travail. J’espère donc que la thèse permettra d’y voir plus clair sur ce qu’est réellement la compétence universelle et sur ce qu’elle n’est pas – une habilitation de tous les juges du monde entier à poursuivre tous les crimes les pires commis dans le monde – et en quoi le contexte juridique et politique qui avait conduit à son émergence au moyen-âge se retrouve sous une autre forme aujourd’hui : le caractère transnational des échanges économiques. La compétence universelle est chargée d’un lourd tribut jusnaturaliste depuis la Renaissance et principalement depuis les écrits de Grotius. J’ai tâché de m’en tenir à une lecture positiviste du droit pour tenter l’analogie avec ce que nous constatons en droit du travail : la très grande difficulté voire l’impossibilité pour les travailleurs d’une entreprise transnationale d’accéder, en l’état actuel du droit international et comparé, à un tribunal. Je pense que la thèse peut également permettre d’avoir une compréhension des dynamiques du moment en droit comparé sur un thème qui évolue très rapidement.