Pourquoi ce sujet de thèse ?
Jean-François Cesaro :
L’idée de ce sujet est de Monsieur Riancho. L’idée même qu’il puisse y avoir des principes en droit et en droit du travail est un sujet d’interrogation. Leur existence même dans une construction, le droit, qui n’est probablement qu’humaine, était et est encore, incertaine. Toute la difficulté, et donc l’intérêt, consistait à accepter de ne pas les découvrir ou, le cas échéant, de ne pas surestimer leur importance. Le piège de la recherche juridique, et il est considérablement augmenté lorsqu’on parle de « principe », est de tenter de trouver la confirmation d’une réponse que nous avons déjà dans les éléments du droit positif. Il me semblait que Monsieur Riancho, armé d’un master en droit privé général et d’un master en droit social général, était susceptible d’échapper à ces dangers pour conduire une recherche honnête. A l’orée d’une thèse il y a au moins autant de curiosité, pour un directeur, pour le sujet que pour celui qui va y travailler.
Simon Riancho :
La référence aux principes est fréquente en droit. Au sein de cette vaste catégorie juridique – qui n’est pas parfaitement homogène –, une place particulière doit être faite aux principes qualifiés de directeurs. Après leur émergence au sein des matières processuelles, et en premier lieu en procédure civile, ceux-ci se développent dans bien d’autres branches du droit.
Lorsqu’il y est fait référence, les principes directeurs témoignent d’un effort de systématisation, de rationalisation de la matière à laquelle ils se rapportent.
Or, le droit du travail est fréquemment perçu comme une matière désorganisée, toujours en mouvement, notamment du fait de sa forte perméabilité aux enjeux politiques.
Existe donc un paradoxe lié à la confrontation du droit du travail et de la référence aux principes directeurs. En a découlé une question, à l’origine de ce travail de recherche : celle de savoir s’il est possible d’ordonner le droit du travail, à partir de principes directeurs. Le cas échéant, quelle serait l’utilité de ces principes ? À l’inverse, si l’exercice s’avérait vain, que signifierait l’impossibilité de structurer cette matière à l’aune de tels principes ?
Quel est, selon vous, l'apport de la thèse au droit ?
J.F. C. :
Je crois que la thèse comporte deux apports, l’un immédiatement visible, l’autre qui requiert davantage d’efforts.
Le premier, évident, est de montrer la structure du droit du travail. Comme une radiographie de l’ossature de notre discipline. De manière ramassée (3+13) le lecteur – expert ou non - y verra les idées principales du droit du travail. Ils pourront susciter, en particulier chez ceux qui sont instruits de la matière, une curieuse familiarité – pour certains peut-être un sentiment d’évidence. C’est là, me semble-t-il, une grande force de cette thèse, montrer les gonds autour desquels s’articulent les raisonnements en droit du travail : ils n’intéressent pas autant que les résultats techniques ou les arguments qui emportent la conviction, mais reçoivent et exercent une orientation sur le droit du travail.
Le second apport, moins évident, car il requiert un plongeon plus sérieux dans la thèse, est d’avoir montré la « vie » des principes – comment ils apparaissent, la manière dont ils interagissent et leur déclin. L’intérêt porte aussi, dès lors qu’on admet qu’ils existent, sur leur usage pour répondre à des cas difficiles. Ce dernier point étant le plus discuté : un principe s’il est déduit du droit positif peut-il aussi influer sur lui ?
S. R. :
A l’analyse, les principes directeurs recouvrent en droit positif des objets variés. Le premier apport de la thèse consiste donc à avoir élaboré un concept de principe directeur, en distinguant des principes directeurs cadres de principes directeurs d’application. Et, qu’ils soient cadres ou d’application, les principes directeurs sont les normes structurantes d’une matière. Ils permettent d’ordonner la création et l’application des règles. Ce sont aussi les points d’ancrage des débats et controverses.
Une fois le concept de principe directeur élaboré, le second apport de la thèse est d’avoir analysé à son aune le droit du travail. Seize principes directeurs y ont été décelés : Treize principes d’application découlent des trois principes cadres que sont la direction institutionnelle, la participation collective et la sécurité individuelle.
Par exemple, le principe-cadre de sécurité individuelle se concrétise notamment par le principe d’intégrité physique et morale des salariés, et les récentes décisions qui ont étendu la possibilité pour les salariés de voir réparer leur préjudice d’anxiété, ont été de nouvelles illustrations de ces principes. Aujourd’hui, la problématique tenant à l’engagement de la responsabilité de l’employeur, face au risque que représente le virus Covid-19, s’y rattache également.
D’un point de vue substantiel, les principes directeurs renvoient à des éléments connus du juriste en droit du travail, tels que la sécurité, la participation, la hiérarchie, la loyauté, ou encore l’égalité. Ce qu’il y a d’original, toutefois, c’est de déceler une armature qui tient les normes entre elles, et par là le droit du travail en son ensemble. Il y a une structure logique sous-jacente, invisible au premier abord lorsque le juriste fait face à l’amas de normes qui caractérise la matière, mais qui est bel et bien là.