Prix de thèse Thomas

Prix de thèse 2021


Lou thomas


La défense de l'intérêt collectif en droit du travail
Pourquoi ce sujet de thèse ?

LT : L’intérêt collectif est une notion clé du droit du travail. Parce qu’il est l’un des concepts qui ont permis la prise en compte par le droit de la dimension collective des rapports de travail, il est indissociable des débats qui ont structuré cette branche du droit, depuis les origines jusqu’à aujourd’hui. Il peut, ainsi, être regardé à la fois comme la pierre angulaire du droit syndical et comme le ciment de toute représentation collective. Alors que l’accord collectif fait, au gré des réformes législatives, l’objet d’une promotion sans précédent au sein des sources du droit du travail, il est apparu utile, sinon nécessaire, de se poser à nouveau la question de la place de l’intérêt collectif dans le droit du travail.

Une telle étude supposait toutefois de résoudre la difficulté qui s’attachait au caractère insaisissable de la notion : l’intérêt collectif, en effet, résiste à toutes les tentatives de définition positive et a priori. À cette fin, le choix a été fait de l’appréhender non pas directement, mais à partir de l’action de ses représentants, ou des actes résultant de cette action ; en d’autres termes, de sa défense.

Cyril Wolmark : Ce sujet de thèse faisait d’abord figure de défi, celui de cerner la notion d’intérêt collectif, laquelle file souvent entre les doigts. La force de son auteur est d’avoir su l’étudier à travers un prisme particulier, celui de la défense de l’intérêt collectif. Ce choix permet de dissiper l’obscurité qui entoure généralement l’usage de la notion et de mettre en lumière les ressorts et les évolutions de pans entiers du droit du travail. Ensuite, le corpus premier de la recherche – le droit syndical – méritait une analyse d’ensemble, au moment où l’organisation syndicale devient un acteur privilégié de transformation du droit du travail. Enfin, une autre raison plus académique, dans le prolongement de la précédente, a présidé au choix du sujet : il semblait qu’il manquait un travail de grande ampleur capable de rendre compte des lignes de force du droit des relations professionnelles, aujourd’hui au cœur de toutes les grandes réformes de notre matière.

Quel est, selon vous, l'apport de la thèse au droit ?

LT : La thèse propose une mise en récit, sur le temps long, de la défense de l’intérêt collectif. Elle donne à voir le processus de construction d’une catégorie juridique, sa genèse et ses transformations, en invitant à centrer le regard sur les acteurs qui la font vivre et sur les résultats de leur action. À partir de l’étude de deux prérogatives emblématiques des organisations syndicales : l’action en justice en défense de l’intérêt collectif de la profession et la négociation collective, les grandes lignes d’un modèle de défense de l’intérêt collectif peuvent être dégagées. C’est ensuite ce modèle qui constitue la référence à partir de laquelle les réformes les plus récentes du droit du travail sont analysées. À cette aune, sont étudiés certains des dispositifs juridiques les plus caractéristiques, parmi lesquels les actions de groupe, les nouvelles règles d’articulation des sources du droit du travail ou encore les accords de performance collective.

CW : L’apport de la thèse est double. Le travail de M. Thomas offre au lecteur une grille de lecture générale et féconde du droit des relations professionnelles en reprenant de grandes thématiques de la matière : la nature de la représentation syndicale, l’articulation entre l’intérêt individuel et l’intérêt collectif… Mais ce travail livre également de très fines analyses sur des questions moins explorées. A ce titre, il faut citer notamment, les interrogations liées à l’objet statutaire des syndicats, les passages relatifs à la portée de la restructuration des branches, ainsi que la mise en lumière de l’émergence d’un intérêt collectif du personnel. Au-delà du droit du travail, la recherche offre un terrain sûr pour celle ou celui qui dans d’autres disciplines cherche à saisir des intérêts collectifs. Par l’angle historique choisi, notamment dans la première partie, l’auteur réussit à dévoiler la construction, au sens tant de processus que de résultat, d’un intérêt collectif spécifique et ancien. L’analyse de l’intérêt collectif par M. Thomas offre ainsi non pas un modèle mais plutôt une épreuve pour la compréhension d’autres formes d’agrégations d’intérêts individuels.
Quelles perspectives de recherche cette thèse ouvre-t-elle pour l'avenir ?

LT : L’étude de l’intérêt collectif gagnerait, selon moi, à être prolongée dans plusieurs directions. On peut ici en évoquer deux. Premièrement, elle pourrait s’enrichir d’une réflexion sur l’émergence de nouveaux objets pour la défense de l’intérêt collectif. On peut penser, notamment, à la montée en force de la montée en force de la problématique de la protection de l’environnement. Intégrée par de nombreuses organisations syndicales à leur objet statutaire, elle est progressivement devenue un objet de négociation collective, et fait désormais partie intégrante de la mission de représentation collective des comités sociaux et économiques. Or, cette évolution ne va pas sans accentuer le flou qui entoure la distinction, déjà contestée de longue date, entre l’intérêt collectif professionnel et l’intérêt général.

Deuxièmement, la réflexion engagée dans la thèse pourrait être prolongée en s’extrayant du cadre rigide des frontières nationales. Le droit de l’Union européenne constituerait un champ d’investigation particulièrement fécond pour au moins deux raisons. En premier lieu, l’appréhension, par ce droit, du « dialogue social » et de l’« autonomie des partenaires sociaux » dessine une articulation originale entre la défense des intérêts collectifs professionnels et la définition de l’intérêt général et offre un intéressant contrepoint aux évolutions de la défense de l’intérêt collectif en droit français. En second lieu, le droit de l’Union européenne contribue à un certain renouvellement des modalités de défense de l’intérêt collectif. En témoigne notamment le développement d’une réglementation européenne sur les actions collectives en justice, qui se trouve à la source de l’introduction des actions de groupe en droit français, dont l’essor devra être observé avec beaucoup d’attention.

CW : A mon sens, la thèse épuise un certain nombre de sujets. Néanmoins, comme tout travail de recherche, elle invite à de nouvelles explorations. La première piste qu’ouvre le travail de M. Thomas conduit à s’interroger sur les critères de la représentativité et sur le lien noué entre l’acquisition de la qualité et le résultat des élections professionnelles. A la lumière des résultats de la thèse, la question se pose de réactiver une conception plus « essentialiste » de la représentativité sans toutefois renouer avec une représentation présumée par affiliation. La thèse ouvre une deuxième piste, celle de la vérification des transformations de la défense de l’intérêt collectif dans le domaine de la sécurité sociale. Si le paritarisme est en perte de vitesse, et ce de longue date, quels sont les effets de la promotion d’une négociation d’entreprise, notamment en matière de protection complémentaire sur la représentation syndicale et sa défense de l’intérêt collectif ? Les réponses à cette interrogation pourraient confirmer tout en les nuançant les résultats de la thèse. La troisième piste, à mon sens, porte sur les différents facteurs de brouillage de la figure de l''intérêt collectif. Comme l’auteur le démontre, l’intérêt collectif se transforme, se dégrade (au sens quasi chimique) au contact d’autres préoccupations. La montée en puissance de nouvelles questions, au premier rang desquels la question environnementale, participe de ce brouillage ; la récente loi climat du 2 août 2021 est emblématique des nouvelles articulations entre intérêt collectif des salariés et Bien commun, et des difficultés qu’elles font naître. S’ouvre là de manière évidente un nouveau champ de recherche où se croisent la conception de l’entreprise et de son intérêt, les politiques publiques, les droits des salariés et la place de leurs représentants.
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