QUEL AVENIR POUR L'ETAT PROVIDENCE APRÈS
LA CRISE DU CORONAVIRUS ?
___________
Denis PIVETEAU
______
Conseiller d'Etat
Il y a un quart de siècle déjà, nous avions, avec Jean-Baptiste de Foucauld (1) , analysé la montée du chômage et des phénomènes d’exclusion sociale dans la société française sous le triple prisme d’une crise économique, d’une crise du lien social et d’une crise du sens, qui se commandaient les unes les autres.
Peut-être parce que l’intuition était forte, peut-être seulement parce qu’il est difficile de ne pas se répéter, on va défendre ici que ce schéma ternaire de mise à l’épreuve économique, de lien social et de sens est pertinent pour analyser l’impact de l’épidémie que nous sommes en train de connaître.
Mise à l’épreuve économique, il n’est pas besoin de développer. Au jour – 25 mai - où ces lignes sont écrites, la seule certitude est qu’on n’en a pas. Les effets en cascade des petites défaillances qui entraînent de plus lourdes, les freins durables sur les mobilités et les échanges, la recomposition de nos habitudes sociales, annoncent, au mieux, une longue convalescence économique.
La mise à l’épreuve du lien social relève, elle aussi, de l’évidence. On a raison de rappeler que les comportements dits « barrières » visent une distanciation seulement physique. Mais leurs effets sont bien de perturber, quelques fois d’interrompre, notre lien social. Tout en faisant naître, on l’a souvent observé, de nouvelles formes d’attention à l’autre, de proximité, de fraternité. Car c’est le propre des temps de crise que de donner lieu, du même coup, à des destructions et à des surgissements.
Mise à l’épreuve, enfin, des ressources de sens. La prudence s’impose, bien sûr, avant de lancer à chaud ce type de diagnostic qui échappe assez largement à l’objectivité scientifique. Mais le ressenti est tellement partagé qu’il en devient un fait social. Au moins sur le Vieux continent, les générations d’âge actif qui vivent la « crise du Covid » n’avaient jamais connu ce que les plus âgés, qui ont connu des conflits armés, ont encore en mémoire vive : l’étonnement stupéfait devant la vie bouleversée, la bascule impensable, comme il s’en produit dans les vies individuelles, mais qui affecte là le corps social tout entier. Et les prises de conscience, ou les questionnements qui s’ensuivent, quant aux fragilités cachées de ce qu’était notre abondance.
Si on partage ce triple diagnostic, on conviendra qu’il n’y a d’avenir pour l’action publique et, du coup, pour notre Etat providence, qu’à condition que ce dernier ait réponse sur les trois champs à la fois.