Providence 16

Quel avenir pour l'Etat providence après la crise du coronavirus ?


QUEL AVENIR POUR L'ETAT PROVIDENCE APRÈS 
LA CRISE DU CORONAVIRUS ?
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Gian Guido BALANDI
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Professeur émérite de Droit du travail à l'Université de Ferrara

Quelles leçons tirer du Covid-19 du point de vue de l’Etat providence ?

Bien sûr, il sera nécessaire d'approfondir la recherche sur la réelle portée sociale d'une pandémie qui n'a épargné personne - même un premier ministre arrogant comme M. Johnson a été touché de même que certains membres de familles royales. Des études sur les aspects sociaux de la maladie devront être menées. Quels secteurs de la société ont été les plus touchés et en quels termes : nombre de personnes infectées, guéries, décédées, etc. et leurs caractéristiques socio-économiques mais aussi les caractéristiques socio-économiques et environnemental des différentes zones géographiques.

La première leçon sûre a trait à l'universalisme : toute mesure de santé sélective est inefficace contre une telle pandémie. La sélectivité peut être de plusieurs types : économique mais aussi bien organisationnelle, comme elle l’a été dans les régions où par le passé a été privilégiée la création de grands centres hospitaliers (et de recherche) d’excellence au détriment de la défense sanitaire du territoire. La santé doit donc retrouver une dimension authentiquement universelle dans tous ses aspects.

Si les études montrent l'incidence de facteurs particuliers dans la diffusion et dans l'agressivité du virus - le danger pour les personnes âgées est certainement déjà connu - cela ne devra pas contredire l'engagement universaliste mais donner l'occasion d'interventions spécifiques.

La deuxième leçon peut être tirée de cette considération : dans nos sociétés, l'inégalité a atteint un point tel que pas même une pandémie potentiellement égalitaire ne l'atténue. Au contraire, nous avons constaté qu'elle accentuait les inégalités : elle est devenue un multiplicateur d'inégalités. Par conséquent, la lutte contre les inégalités doit être un objectif de l'État social, qui viserait non seulement à guérir les inégalités accentuées par la pandémie mais aussi celles, héritées du passé et qui sont le fruit de quelque quatre décennies de néo-libéralisme.

Certaines grandes orientations des interventions visant à réduire les inégalités doivent être identifiées à la fois quant à leur domaine et leurs modalités. 

"dans nos sociétés, l'inégalité a atteint un point tel que pas même une pandémie potentiellement égalitaire ne l'atténue. Au contraire, nous avons constaté qu'elle accentuait les inégalités : elle est devenue un multiplicateur d'inégalités"
En ce qui concerne leur domaine : je crois que la faiblesse sur le marché du travail est l'un des principaux facteurs de création de l'inégalité. La faiblesse sur le marché du travail ne doit plus être identifiée seulement dans le chômage des salariés : il est bien connu que les « travailleurs pauvres » existent, en raison des bas salaires, de la précarité ou de l'emploi irrégulier. Mais même dans le travail indépendant, existent de grandes couches de souffrance en raison de l'échec ou de l’insécurité quant aux opportunités de mener utilement ses affaires. Sans oublier le grand nombre d’individus qui exercent des activités « créées » par l'univers numérique dont on discute toujours s'ils sont salariés ou « entrepreneurs de soi-même » ; ils sont certainement "faibles". L'intervention devrait se dérouler sur plusieurs étages. D'une part, la garantie d'un niveau de revenu acceptable, qui surmonte toute hésitation concernant l'épreuve des moyens et donc lié aux conditions réelles de besoin (de l'individu et / ou de la famille, je reviendrai sur ce point). D’autre part, une large gamme de services devrait être proposée au citoyen, qui incluent des rapports sur les opportunités de mener ses activités, qu'elles soient dépendantes ou indépendantes, mais aussi sur les questions de formation professionnelle, d’accompagnement dans les relations avec les banques et les bureaucraties, etc.

L'expansion des services qui devraient être offerts par l'État providence constitue l'évolution des modes d’intervention que j’ai mentionné. L'histoire de l'État providence nous apprend que la progression vers l'hégémonie du marché est marquée – inter alia - par la concentration des interventions dans les transferts de revenu : argent mis dans la poche du citoyen pour qu’il achète sur le marché les services dont il a besoin. Mais il existe des services importants, sinon essentiels, pour la protection des « parties faibles », dont le marché fausse les conditions d'utilisation. Cela ne signifie pas qu'il doit nécessairement s'agir de services offerts gratuitement : leur accessibilité ne doit pas être régie par la loi du marché mais plutôt par un programme d’Etat social.

"L'histoire de l'État providence nous apprend que la progression vers l'hégémonie du marché est marquée – inter alia - par la concentration des interventions dans les transferts de revenu : argent mis dans la poche du citoyen pour qu’il achète sur le marché les services dont il a besoin. Mais il existe des services importants, sinon essentiels, pour la protection des « parties faibles », dont le marché fausse les conditions d'utilisation"
Un deuxième domaine d'intervention très important pour lutter contre les inégalités est constitué par les politiques familiales. Il faut procéder avec toute la délicatesse nécessaire dans un domaine où les choix personnels intimes ont une grande importance et méritent le plus grand respect, mais la législation devrait favoriser les conditions pour permettre de créer un noyau « familial » à ceux qui le souhaitent, la définition de "famille" étant la plus large possible. Dans ce domaine également, il existe un enjeu en termes de protection du revenu, avec une alternative complexe entre focaliser la protection sur l’individu ou sur la famille. En tout état de cause, les services devraient couvrir la plupart des besoins : l'exemple le plus banal sont les services de soins aux enfants et aux personnes âgées.

En fait, les services de soins sont l'un des secteurs sur lesquels devrait se concentrer l’attention renouvelée de l'État providence pour au moins deux bonnes raisons. La première est l'augmentation du besoin de services de ce type, d'une part en raison du vieillissement de la population et d'autre part, pour augmenter la possibilité pour les femmes de participer au marché du travail. Parce que c’est toujours sur les femmes que pèse majoritairement la charge de prendre soin de la famille. La deuxième bonne raison est que dans ce domaine, lorsque les soins sont fournis par des travailleurs, on retrouve une grande partie de travail irrégulier, lequel mérite enfin de trouver une protection adéquate. 
Quels sont les points critiques de ce qu'on pourrait appeler à juste titre un cahier d’utopie ? 

Le premier est représenté par les coûts. Pour supporter les coûts d'un changement radical de l'intervention de l'État providence, il est nécessaire de repenser le régime fiscal actuel, ce qui peut contribuer en soi à contrecarrer les conditions actuelles d'inégalité. Le second est l'effort organisationnel que ce « vaste programme » implique. Pour cela, il y a des États mieux organisés – il se dit que tel est le cas de la France - et d'autres pires - certainement l'Italie - mais en tout cas c'est une exigence essentielle.

Donc, un vrai cahier d’utopie ? Mais quelqu'un qui a dit que c'est l'utopie qui fait avancer le monde.


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