QUEL AVENIR POUR L'ETAT PROVIDENCE APRÈS
LA CRISE DU CORONAVIRUS ?
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Dominique MEDA
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Professeure de sociologie, Directrice de l'Institut de Recherche Interdisciplinaire
en sciences sociales à l'Université Paris Dauphine-PSL
La crise sanitaire – considérée par de nombreux chercheurs comme une crise du capitalisme débridé – a tout à la fois révélé et exacerbé les inégalités. Agissant à la manière d’une expérience naturelle, elle a en effet ôté de l’espace public et de notre champ de vision un certain nombre d’activités et de professions, ne laissant plus circuler, au vu et au sus de tous, que les travailleurs essentiels à notre survie, devenus soudain pleinement visibles. Par un retournement brutal, un certain nombre de métiers jusqu’alors peu considérés, peu auréolés de prestige, trop souvent considérés et classés dans la catégorie « emplois non qualifiés » (5 millions de personnes en France) sont apparus comme éminemment utiles et contribuant sans doute plus que beaucoup d’autres à la satisfaction des besoins essentiels de la société. Les soignants (aide-soignant.es, infirmières, médecins), mais aussi les aides à domicile, les auxiliaires de vie, les caissièr.e.s, les chauffeurs de taxi, de bus, de camions, les livreurs, les agents de sécurité et de nettoyage, les éboueurs, les journalistes ont pour une fois occupé seuls l’espace urbain et les scènes médiatiques laissant dans l’ombre ceux qui continuaient à travailler dans les champs ou dans les entrepôts mais qui, aussi peu protégés que les premiers notamment en début de pandémie, couraient au moins autant de risques, à la différence des télétravailleurs et de tous ceux qui étaient, volens nolens, privés de travail.
C’est sans doute ce qui explique en partie l’aggravation des inégalités provoquée par la crise : les travailleurs contraints de continuer à occuper leur emploi, parce qu’il s’agissait d’un métier de contact mais aussi parce qu’un certain nombre n’ont pas osé exercer leur droit de retrait, ne disposant pas d’équipements de protection, ont été plus exposés que les autres au virus et couru plus de risques que les professions en télé travail. Aux Etats-Unis d’abord, puis au Royaume-Uni et en France, des études ont assez rapidement mis en évidence la plus forte exposition de certains groupes sociaux : une analyse américaine a ainsi démontré la surreprésentation des femmes, des personnes de couleur et des travailleurs à bas salaires parmi les « industries en première ligne » (1) . De même l’Office National Statistique britannique a proposé une série d’analyses approfondies (2) mettant en lumière la surmortalité des travailleur.e.s d’un certain nombre de métiers (travailleuses du care, chauffeurs de taxi et d’autobus, chefs cuisiniers, assistants de vente et de détail…), autrement dit ceux que l’ONS décrits comme les « key workers », les « travailleurs essentiels ». L’ONS a aussi montré la plus forte probabilité pour les non-Blancs de décéder du coronavirus, en partie explicable par des facteurs socio-économiques.