QUEL AVENIR POUR L'ETAT PROVIDENCE APRÈS
LA CRISE DU CORONAVIRUS ?
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Isabelle VACARIE
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Professeur émérite de l'Université Paris Nanterre
À la suite de la crise financière de 2008, une série de règlements de l’Union européenne ont étendu la surveillance exercée par la Commission sur les trajectoires budgétaires des États de la zone euro, puis sur le poids financier du social dans les économies nationales. Fin mars, en raison de la crise sanitaire, Bruxelles décidait d’activer la clause lui permettant de suspendre cette surveillance. En France, simultanément, un plan d’urgence destiné à assurer un revenu de remplacement aux travailleurs « à l’arrêt » et à maintenir celui des demandeurs d’emploi est venu accompagner la déclaration de l’état d’urgence sanitaire. Ici encore, la réponse à la crise sanitaire a exigé de reconsidérer les budgets sociaux et de suspendre des réformes, pourtant prises au nom d’une meilleure allocation des ressources consacrées à la protection sociale. Outre la suspension sine die de la réforme des retraites, l’entrée en application de celle de l’assurance chômage a été différée, les conditions et le régime de l’activité partielle ont été modifiés, et des conditions dérogatoires au versement des indemnités journalières ont été temporairement fixées.
Quelle leçon tirer de ce brusque changement de pied ? Que dit-il de l’avenir de l’État providence ? La réponse sera différente selon l’angle de vue choisi : les raisons du plan d’urgence ou ses seules conséquences financières.
Langage des chiffres
À première lecture, la nécessité, pour financer les mesures d’urgence, de voter deux lois de finances rectificatives ou de relever le plafond d’emprunt des organismes de sécurité sociale accrédite l’idée que la couverture des risques de l’existence ne peut être entièrement socialisée. L’heure serait venue de rechercher un meilleur équilibre entre solidarité nationale et, selon les branches de la sécurité sociale, mutualisation du risque sur le maché de l’assurance ou mutualisation de l’épargne individuelle sur le marché des capitaux (sur cette idée, voir les considérants du règlement européen du 20 juin 2019 relatif à un produit paneuropéen d’épargne retraite individuelle). Dit autrement, le coût de la crise devrait accélérer la promotion d’une nouvelle géographie des protections, tenant pour des équivalents fonctionnels institutions de sécurité sociale, institutions d’assurances et fonds d’investissement.
En revanche, si l’on remonte des effets – le coût des mesures prises – à la cause ‒ la propagation humaine d’un virus d’origine animale ‒, on découvre qu’un plan d’urgence s’est imposé en raison de la distance prise, au fil des réformes, avec la philosophie des assurances sociales. Pas à pas, le versement d’une prestation en espèce, son montant et sa durée, comme la prise en charge des frais de santé et leur niveau de remboursement ont été utilisés pour agir sur les comportements individuels, qu’il s’agisse d’inciter le « sans-emploi » à rechercher activement un travail, le patient à suivre tel parcours de soin de préférence à un autre ou encore le travailleur à prolonger son activité. Inspirée de la micro-économie, une telle politique a montré ses insuffisances en présence d’une pandémie. Où l’on voit les limites des modèles mathématiques qui ne sont susceptibles de produire l’effet escompté que pour autant que le monde tel qu’il va corresponde au monde imaginaire à partir duquel ils ont été construits.