L'ETAT PROVIDENCE APRES LA CRISE DU COVID-19
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Pascal LOKIEC
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Professeur à l'Ecole de Droit de la Sorbonne
On mesure en ces temps si difficiles l’importance de ce bien précieux que constitue la Sécurité sociale. On mesure que ce n’est pas le marché, dont on a tant vanté les mérites ces dernières décennies, qui nous soigne, assure un minimum vital à ceux qui n’ont rien, s’occupe de nos personnes âgées, forme les générations futures … Cet Etat providence qui protège les personnes contre les aléas de la vie, et les protégera de plus en plus – espérons-le – contre les risques naturels, est depuis 1945 un élément structurant de notre société et il doit le rester.
Un bien précieux
Il suffit de se reporter au contre-modèle des Etats-Unis pour comprendre la richesse d’un modèle social comme le nôtre ! Les américains ne connaissent pas de protection contre le licenciement (résultat : 30 millions de suppressions d’emplois en 2 mois de Pandémie), de droit au congé maladie payé ni d'assurance maladie universelle ; la durée des indemnisations chômage s’établit à six mois environ, et l’idée de chômage partiel n’évoque rien ou presque. Sans surprise, il a fallu créer, pour gérer temporairement les effets de la crise sanitaire, un congé maladie payé. Ce congé est réservé aux salariés des entreprises de moins de 500 salariés, les grandes entreprises accordant généralement une assurance maladie à leurs salariés. De fait, celle ou celui qui perd son emploi perd aussi sa couverture maladie et se trouve contraint de souscrire une nouvelle couverture maladie auprès d'un assureur privé. Souscription organisée par le fameux Obamacare qui oblige tous les citoyens à souscrire une assurance santé moyennant des aides fiscales à ceux qui n'ont pas les moyens de se payer de couverture. Faut-il envier un système dont l’universalité passe par le marché – avec toutefois une sélection des acteurs sur le marché (1) - davantage que par l’Etat ? Il n’est pas surprenant que prospèrent à nouveau, aux Etats-Unis comme ailleurs (Royaume-Uni, Allemagne, Espagne, France), les projets de création d’un revenu universel, la crise du Covid ayant mis à nouveau au jour la nécessité d’assurer à tous des revenus indépendamment des aléas liés à l’exercice d’une activité professionnelle.
De nouveaux besoins
Sans doute la crise du Covid 19 a-t-elle montré les inestimables mérites de notre Etat providence ! Si l’on veut être optimiste, on se dira qu’elle l’a réhabilité contre les accusations récurrentes de rigidité, de coût excessif, de déresponsabilisation des individus, etc. L’idée de solidarité a rarement été autant mise en valeur, dans toutes les sphères de nos vies : à l’égard des soignants, des personnes âgées, de nos voisins de palier, etc. Des revendications peu audibles il y a quelques mois sont en passe d’être concrétisées : la revalorisation de l’hôpital public et de son personnel ; la reconnaissance de la dépendance comme un cinquième risque, au même titre que la maladie, les accidents du travail et maladies professionnelles, la famille et la vieillesse (V. le rapport Libault (2) ). Tout n'est pas réglé, loin s'en faut ! La pandémie de Covid 19 a montré combien les inégalités restent fortes. Les métiers de première ligne, qui sont aussi parmi les moins bien payés, sont majoritairement occupés par des femmes. Sont également apparues au grand jour les inégalités issues du lieu d’habitation (constat d’une surmortalité très élevée en Seine-Saint-Denis) ainsi que de la fracture numérique (c’est une chose de reconnaître aux salariés un droit à la déconnexion, c’en est une autre de consacrer un droit à la connexion afin que le télétravail soit accessible, dans des conditions normales, à tous). Autre facteur d’inégalité dont on va malheureusement mesurer la force dans les semaines à venir : la dualité du marché du travail. L’assouplissement des règles de renouvellement des CDD pendant la crise du Covid n’empêchera pas l’arrivée au chômage de toute une population d’anciens titulaires de contrats précaires ; le non renouvellement des CDD et des missions d’interim constitue l’une – sinon la première – des réponses aux crises au sein des entreprises ! Il n’y a pas de raison qu’il en soit autrement avec la crise du Covid. Conséquence, la situation de ceux qu’on appelle les travailleurs pauvres (pauvreté issue du niveau de salaire ou de l’irrégularité de l’emploi) devrait elle aussi s’aggraver.
Ecologie et social
Aujourd’hui la crise sanitaire, demain les crises climatiques ? Qu’il faille ou non faire évoluer le concept d’Etat Providence pour intégrer cette autre dimension de l’intervention étatique, la protection « sociale » ne peut plus, et pourra de moins en moins, être dissociée de la protection environnementale. Il serait de surcroît dangereux d’opposer l’écologique et le social, aussi indispensables l’un que l’autre à la protection de la personne humaine qui constitue l’objectif de tout Etat digne de son nom ! Chacun sait que la santé est largement déterminée par l’environnement : pollution de l’air, qualité de l’eau, climat …! Probablement plus difficiles à maîtriser encore que les crises sanitaires (il n’existe pas de vaccin contre le réchauffement ou un tsunami !), les crises environnementales constituent de plus en plus un risque, qu’il faut intégrer, d’une manière ou d’une autre (il a été proposé de l’intégrer dans le cinquième risque entendu plus largement, comme un risque « vulnérabilité » (3) ), sur la base de probabilités que l’on voit malheureusement se dessiner de façon de plus en plus précise.