C’est aussi le premier de ses nombreux paradoxes. La pandémie due au corona virus est assurément ce que l’on peut appeler, en la considérant dans son ensemble et non pas dans chacune de ses occurrences singulières, une vaste situation de fait transnationale, née à l’étranger puis s’imposant dans un très grand nombre de pays dont le nôtre et conduisant au confinement, plus ou moins sévère, d’une moitié de l’humanité. Or voilà que ce problème dont l’une des caractéristiques majeures est qu’il ne connaît pas les frontières étatiques ou du moins qu’il les traverse aisément, a appelé dans la plupart des pays et particulièrement dans le nôtre un engagement très fort de l’Etat, aussi bien en vue de la prévention ou de la limitation de la pandémie, notamment par le confinement, que dans le dessein, ce confinement une fois décidé, de sauver le plus grand nombre possible d’entreprises et de travailleurs des conséquences assurément redoutables de ce freinage très brutal et, on peut le craindre, de la récession économique qui va s’ensuivre. A l’Etat faible, si souvent dénoncé ces dernières décennies, semble s’être substitué un Etat stratège, tacticien, assureur, organisateur, gendarme, protecteur, un Etat providence dans un sens du reste plus large encore que celui de l’acception classique. Comment en particulier ne pas observer l’importance qu’a prise un dispositif dit couramment de chômage partiel qui, relevant d’un soutien temporaire de l’Etat, est bien entendu extérieur au champ proprement dit de la protection sociale ?
De la protection sociale le souci de la santé relève assurément, au moins sous l’angle de la prise en charge des dépenses de soins. Ce souci s’affirme aujourd’hui de façon encore plus forte et notamment en ce qu’il se révèle indissociable de la santé publique, de la bonne organisation de la prévention et des soins pour tous. On serait tenté de parler d’un retour sur le devant de la scène de la santé publique, non pas du tout en opposition à la santé individuelle mais en relation en quelque sorte d’amont et d’aval d’un même fleuve de la santé.
Bref, la crise du coronavirus nous appelle, en dépit des apparences et des réalités du moment, à dépasser barrières et étroitesses et à penser large tout ce qui touche la vie, la santé, la retraite, le grand âge et la dépendance, la famille, la lutte contre l’indigence et, pourquoi pas, la garantie d’un revenu minimum pour tous voire celle d’un patrimoine universel. Disons un mot particulier de l’âge, généralement trop étroitement entendu sous le seul angle de l’allongement de la durée de la vie. La crise actuelle nous révèle, peut-être plus qu’aucune avant elle ne l’a jamais fait, la fragilité des catégories âgées de la population au regard de certains risques de santé et pas seulement au regard du risque de dépendance. On peut imaginer que le débat sur la réforme des retraites en soit assez significativement renouvelé voire transformé.