Providence 4

Quel avenir pour l'Etat providence après la crise du coronavirus ?


QUEL AVENIR POUR L'ETAT PROVIDENCE APRÈS 
LA CRISE DU CORONAVIRUS ?
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Jean-Pierre CHAUCHARD
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Professeur émérite de l'Université de Nantes

Ainsi formulée, la question est à même de donner le vertige à n’importe quel juriste du social. Mais qu’il s’agisse d’État providence, d’État social ou de République sociale, c’est en définitive l’État qui est concerné quand il s’intéresse à la sécurité économique des hommes en société prenant la forme de protections collectives, un État dont les interventions ont fortement modifié, dans le passé, l’ordre juridique libéral, avant d’être à son tour ébranlé par le néolibéralisme. La crise du coronavirus, en suspendant l’activité économique, explique que l’on puisse s’affranchir, mais en partie seulement, des précédents connus. 

Pour s’en tenir à l’épure, le droit du travail et les services publics ont illustré cette immixtion. Ces derniers ont permis qu’un certain nombre de biens et de services soient accessibles à l’ensemble des citoyens dans des conditions d’égalité et de continuité. Mais c’est la sécurité sociale que l’on choisira de retenir comme charpente d’un État providence repensé en raison, non seulement de sa mission de service public, mais en ce qu’elle est aussi une institution organisée et stable. C’est elle qui a maintenu l’accès aux soins, en dépit des difficultés de l’hôpital public. Un besoin d’intérêt général est en jeu, dont la satisfaction nécessite son intervention à titre de garantie. La solidarité familiale, comme le patrimoine ou la mutualité paraissent, ici, nettement insuffisants. 

L’urgence sociale, tout d’abord, a commandé de répondre avec les moyens actuellement disponibles. 

"C’est la sécurité sociale que l’on choisira de retenir comme charpente d’un État providence repensé en raison, non seulement de sa mission de service public, mais en ce qu’elle est aussi une institution organisée et stable"
La pandémie de coronavirus, qui a toutes les apparences d’un impondérable, a nettement rappelé le rôle protecteur de l’État quand sont atteintes en profondeur les conditions de vie des personnes et des groupes. Hier, on a pu parler d’« amortisseurs sociaux » à l’égard des prestations servies par la protection sociale dans certaines situations de crise économique. La confirmation est venue aujourd’hui, dans un tout autre contexte, avec les mesures d’extension du chômage partiel, la prolongation des droits aux allocations de chômage, le soutien à l’emploi et les aides aux personnes les plus vulnérables, dont les jeunes. Sans oublier les aides massives apportées aux entreprises sous diverses formes (suspension puis exonérations de cotisations sociales notamment). Il s’est agi de mesures prises afin d’endiguer, autant que faire se peut, sinon l’apparition, du moins le maintien de situations à vocation de catastrophes individuelles et collectives. L’État providence respecte ici sa propre tradition. 
Mais dans un temps bref, il faut aussi penser au moment d’après. 

Au cours de son histoire, l’État providence a connu plusieurs modèles, déclinés selon la culture économique et sociale propre à chaque pays concerné, mais dont bien peu ont été épargnés par des crises aux formes multiples à partir des années 70. Diverses préconisations ont été avancées à titre de remèdes, sans toujours être pleinement convaincantes (exemple : l’État social actif). D’autres au contraire méritent d’être réexaminées à la mesure du contexte actuel, la puissance publique devant jouer un rôle central en raison de l’exigence exprimée de protection collective. D’autant qu’aujourd’hui, la porte de l’État est encombrée de propositions. Une ligne directrice pourrait être trouvée dans les défaillances de l’État providence révélées par la pandémie. 
"Ne serait-ce pas alors l’occasion de décentraliser l’État providence en faveur du département, alors érigé au rang de « Département providence » selon une heureuse formule ?"
C’est tout d’abord la grande dépendance à l’égard de laquelle la solidarité nationale devrait franchement s’exprimer par une prestation renouvelée en faveur des personnes âgées ayant perdu leur autonomie, une politique du « grand âge » passant notamment par une revalorisation des métiers de l’accompagnement dans une société destinée à vieillir. C’est aussi la fonction d’anticipation et de prévenance de l’État qui est mise en avant, aujourd’hui insuffisamment développée. En pratique, la sécurité sociale devrait assurer la couverture de la grande dépendance des personnes âgées.

En parallèle, la tentative de promotion de « société du soin mutuel », position éthique tournée vers la personne, retrouve une actualité certaine. Une économie des services à la personne est ici en jachère. L’État deviendrait alors prévoyant, la sollicitude se muant en vertu.

C’est aussi l’attribution d’un revenu de base, question qui n’a jamais vraiment quitté la scène. La pandémie a souligné le besoin de garantir une certaine sécurité économique afin d’amortir le choc né des pertes de revenus, voire de leur absence. La question d’un revenu de substitution est ainsi posée. Encore faudrait-il trancher entre une version valorisant le travail ou, à l’opposé, la citoyenneté, entre une vision universaliste ou, au contraire, réduite aux personnes dans le besoin. Ne serait-ce pas alors l’occasion de décentraliser l’État providence en faveur du département, alors érigé au rang de « Département providence » selon une heureuse formule ?

Dans le long terme, il faudrait certainement redéfinir les missions de l’État providence. On a pu suggérer qu’un « Etat providence écologique » pourrait jouer un rôle dans l’anticipation et la résolution des conséquences du réchauffement climatique, le risque social devant incorporer l’incertitude écologique.

"On pourrait alors songer à élargir le périmètre du droit social. Car s’il dispose de la loi comme moyen de mise en œuvre des politiques sociales conduites par l’État, le droit social ne peut suffire, du moins dans sa version française"
De manière plus générale, il apparaît nécessaire de mieux prendre en compte les besoins sociaux en ce qu’ils ont leur propre dynamique, examinés jusque-là par les économistes et à propos desquels une analyse juridique, étayée de mécanismes renforcés de solidarité, s’avère cruciale. Il s’agirait ensuite, dans une conception du besoin renouvelée, de dégager un droit-besoin, un droit à prestations dont le montant n’est pas fixé à l’avance mais, au contraire, calqué sur les besoins de l’ayant-besoin. Ce droit personnel devrait être rangé parmi les droits sociaux, ici vus comme instruments de l’action publique.   

On pourrait alors songer à élargir le périmètre du droit social. Car s’il dispose de la loi comme moyen de mise en œuvre des politiques sociales conduites par l’État, le droit social ne peut suffire, du moins dans sa version française. De nombreux dispositifs actuels, en effet, relèvent aussi du « social » bien que placés sous l’empire du droit public (droit fiscal, droit de l’éducation ou du logement). Avant d’être meilleurs, les jours à venir risquent d’être chargés. 

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