S'il existait déjà, avant la crise du COVID-19, les signes d’un recul des politiques néolibérales en matière de salaires et d'emploi dans un certain nombre de pays et de régions ainsi qu'à l'échelle mondiale, la crise a propulsé les mesures de régulation du marché du travail au premier plan. Les États de certaines régions, l'Europe de l'Ouest en tête, ont annoncé des subventions salariales et des régimes de chômage partiel visant à atténuer l'impact de la crise sur l'emploi et la consommation.
Ces régimes ne sont pas entièrement nouveaux. Au Royaume-Uni, le gouvernement a payé les salaires directement aux employeurs pour éviter les licenciements massifs dans le secteur manufacturier et l'industrie lourde lors de la crise de la fin des années 70 et du début des années 80. La dernière de ces mesures, un régime exceptionnel de chômage partiel, n'a été fermée qu'en 1984, et la possibilité de le réactiver a été conservée jusqu'en 1990, pendant toute la durée de l’administration Thatcher, soi-disant anti-interventionniste. Le programme allemand de Kurzarbeit, relancé en 2020, avait déjà expérimenté le recours au chômage partiel pendant la récession consécutive à la crise financière mondiale de 2008-2009.
Nonobstant ces précédents, la réponse des gouvernements occidentaux, y compris le Royaume-Uni, à travers son dispositif temporaire de maintien de l’emploi pendant l’état d’urgence (emergency Job Retention Scheme), pourrait, par l’ampleur du financement mis en œuvre, éclipser ce qui a été fait précédemment, même si tout dépendra de la durée pendant laquelle ce dispositif restera en vigueur. Il convient de rappeler, à ce propos, que ces mesures sont conçues pour être temporaires et peuvent être défaites presque aussi rapidement qu'elles ont été mises en place. Le même type de raisonnement vaut pour la suspension des règles d’équilibre budgétaire de la zone euro, annoncée fin mars 2020. Il est possible que ces normes reviennent, éventuellement sous une forme encore plus stricte, si la crise se résorbe dans quelques mois.
Une rupture plus durable avec les politiques néolibérales ne peut se produire que si la crise COVID, par son ampleur et sa durée, requiert une réponse politique plus soutenue. Un scénario plausible, la crise étant susceptible de durer plusieurs mois au moins, peut-être même plus longtemps. Plus elle durera, plus les gouvernements devront envisager de mettre en œuvre des mesures fiscales destinées à stabiliser la demande. Les politiques fiscales et macroéconomiques de ce type, qui étaient destinées à maintenir une consommation efficace au milieu des décennies du XXe siècle, se sont bien adaptées à l'extension de la négociation collective de branche et aux formes solidaires d'assurance sociale au cours de la même période.
Il y a lieu de considérer de telles réglementations du marché du travail, qui stabilisent la relation de travail et définissent des salaires minima, comme essentielles, si l’ont veut que les mesures macroéconomiques et fiscales axées sur la demande aient l'effet souhaité sur le soutien à la consommation. Si la politique de «flexibilisation» du marché du travail reste en place, il est probable que les interventions fiscales bénéficieront de manière disproportionnée aux intérêts des rentiers, comme ce fut le cas avec l'expansion monétaire menée par les banques centrales après la crise financière de 2008-2009. Non seulement une telle flexibilisation continue renforcerait les inégalités de richesse et de revenu existantes mais elle serait contraire à l'objectif de maintien de la consommation, compte tenu de la plus grande propension marginale à consommer des groupes à faible revenu, des non rentiers.