L'année 2020 restera dans les mémoires comme celle de la terrible pandémie de coronavirus COVID-19. Le 14 mars, le gouvernement espagnol déclarait l'état d'alerte pour gérer l'urgence sanitaire par des mesures d'endiguement social, avec un impact immédiat sur l’ensemble de la société, en particulier sur le fonctionnement du système de santé, des services sociaux et d'autres services essentiels pour les citoyens.
Si la crise humanitaire est irréparable, la crise économique et sociale générée par la perte significative d'activité économique et d'emploi est, en partie au moins, amortie par les instruments du droit du travail et de la sécurité sociale.
Dans un scénario extrêmement changeant dû à la nature même de la crise sanitaire, le droit du travail ne s'est pas comporté comme une loi « de » l’urgence, qui introduit de nouvelles techniques destinées pour certaines à réduire voire sacrifier les droits des salariés dans le but de sauver les entreprises, avec pour vocation, une fois la crise terminée, à s’intégrer dans l’appareil normatif. Contrairement aux urgences provoquées par les crises économiques du siècle dernier et par la crise financière mondiale de la première décennie de ce siècle, le droit du travail a développé dans cette urgence sanitaire sans précédent des mesures extraordinaires destinées à amortir ses effets sur les entreprises et sur les travailleurs et dont l’objet a été, soit de déroger temporairement à certaines règles existantes, soit de créer de nouvelles règles. Ce n'est pas un droit "de" l'urgence, mais un droit "dans" l'urgence, avec pour objectif de gérer une urgence quotidienne que l’on peut penser éphémère. Restera à savoir si la durabilité des conséquences de la crise ne prolongera pas, de façon très substantielle, leur durée.
Ces mesures normatives urgentes forment une loi d'une certaine complexité, composée de règles qui se sont succédées à une vitesse vertigineuse, et dont la date d'expiration est encore incertaine. Le droit du travail a été initialement présenté comme complémentaire afin de faire face aux conséquences commerciales, professionnelles et sociales de la très grave crise sanitaire. Sa place a rapidement évolué dans le dispositif pour devenir centrale, manifestant l’importance stratégique du droit du travail face à l'ampleur sociale et économique de la pandémie.
La référence à la crise financière-économique de 2008 est très présente dans le débat espagnol. Cette crise s'est terminée par la résiliation des contrats de travail et des licenciements et par le départ massif des travailleurs vers le chômage. Ses effets sur le tissu social et sur la quantité et la qualité du travail ont été profonds. L'expérience de cette crise, qui a entraîné des "coupes" dans les investissements publics en matière de soins de santé et de recherche scientifique pour répondre à l'objectif européen de maîtrise des déficits, que tout le monde regrette aujourd'hui, a conduit à adopter une autre approche pour la crise du coronavirus, et ainsi à prendre soin des plus vulnérables et accroître leur protection.
Le principe directeur des mesures temporaires extraordinaires de cette loi du travail dans l'urgence a été de maintenir l'emploi afin d'éviter les licenciements, c'est-à-dire d'éviter un impact structurel négatif sur l'emploi, étant donné la nature supposément temporaire de l'urgence sanitaire. L'emploi doit être maintenu pour la réouverture attendue de l'économie. À cette fin, le législateur a utilisé le télétravail comme technique préférentielle pour le maintien du travail pendant le confinement, en ouvrant le dispositif aussi largement que possible, sauf naturellement dans les services essentiels. Son utilisation est obligatoire pour les entreprises - en termes de raisonnabilité et de proportionnalité - et pour les travailleurs, sachant en outre que le télétravail permet de répondre à l'augmentation exceptionnelle des besoins de prise en charge familiale à la suite de la fermeture temporaire du système d'éducation.
Lorsque le télétravail n’est pas possible, la loi d’urgence espagnole a prévu des mesures de flexibilité interne, dont elle a rendu l'utilisation la plus aisée possible pour les entreprises désireuses d’adapter temporairement leurs effectifs : suspensions de contrats ; réductions temporaires du temps de travail soit pour cause de force majeure soit pour des raisons économiques, techniques, organisationnelles et productives qui découlent de la crise sanitaire. A cela, s’ajoute un accès facilité aux allocations de chômage pour les travailleurs et, pour les entreprises, des exonérations de cotisations sociales. L'application de ces mesures extraordinaires a été subordonnée à l'engagement des entreprises à "sauvegarder l'emploi" pendant la période de six mois à compter de la date de reprise de l'activité économique.