Ce tsunami sanitaire allant déboucher sur des tempêtes judiciaires, on peut donc craindre la suite. Car dans un, trois ou sept ans, à froid, les « YavaitKa » et autres « FallaitKils » nous expliqueront « qu’il aurait fallu » faire ceci, que « ne faire que cela » constituait une faute lourde caractérisée, la faute d’abstention connaissant une seconde jeunesse. Alors, que nos juges prennent aujourd’hui des notes sur notre quotidien et les multiples incertitudes de ce printemps 2020 afin de les relire dans quelques années, pour éviter de rendre des jugements trop surplombants.
Sur les mesures d’urgence à adopter, l’opposition est banale entre le chef de clinique submergé et le patron de PME d’une région préservée mais proche du dépôt de bilan. Nous universitaires sommes désormais étroitement spécialisés, chacun dans notre propre couloir. Ce qui ne peut aboutir qu’à des incompréhensions dans notre société complexe, et à des difficultés croissantes pour faire la nécessaire synthèse à la recherche de l’intérêt général. Conduisant à une critique récurrente du Conseil Constitutionnel et du Conseil d'Etat, institutionnellement en charge de sa défense.
A fortiori si le raisonnement se résume à l’opposition informatique 0-1 (ex : Santé ou Economie ?) sur le ton de l’indignation emportant tout. Car en cas de crise aigüe, «il ne s’agit pas de choisir entre une bonne et une mauvaise solution, mais entre les moins mauvaises solutions » (W. Churchill, mai 1941).
Mais décidément, quelle merveille que des idéologies donnant immédiatement une grille d’analyse évitant de devoir se frotter à la complexité !
Une situation exceptionnelle, et exorbitante du droit commun
Le tsunami économique et organisationnel causé par le Covid 19 a naturellement entrainé une avalanche de textes, nécessaires aux entreprises pour s’adapter rapidement à ce rapide et abyssal changement, d’abord pour éviter une hécatombe d’emplois, mais aussi préparer l’avenir qui pourrait ne pas être radieux.
Alors commençons par rendre hommage aux équipes de la Direction générale du travail et la Délégation générale à l’emploi qui, malgré les problèmes organisationnels que l’on devine et dans un temps record, ont su faire face. Et ne se sont pas contentés de sortir des textes par dizaines, mais rédigé en quelques jours de très complets Questions-Réponses, où les usagers du droit et pas seulement les spécialistes pointus peuvent avoir accès à des réponses pratiques et actualisées.
Un Grand Complot ?
Comme en Russie ou dans certaines démocratures d’Europe de l’Est, ces textes provisoires seraient-ils l’habile couverture d’une remise en cause de notre droit du travail ? Exemple: en Hongrie, a été adopté le 12 mars 2020 le décret 47/2020 permettant à l'employeur de déroger, par simple accord entre les parties et dans un sens favorable ou défavorable au salarié, à toutes les dispositions du code du travail.
Mais à moins de comparer la démocratie et la société françaises aux dérives d’ex-pays de l’Est instrumentalisant ce désastre sanitaire pour faire reculer les règles de protection, on voit mal aujourd'hui ce qui justifie cette thèse. À situation exceptionnelle, solutions exorbitantes du droit commun; mais programmées pour rentrer dans son lit, et toujours soumises à la hiérarchie des sources, toujours soumises au contrôle d’un juge.
Deux exemples de raison garder : l’un très ponctuel, l’autre plus général.
1. Les mesures à durée très déterminée destinées à faire fonctionner le dialogue social, nécessaires en ces périodes de confinement généralisé.
Ainsi, en matière de négociation collective ou de réunions du comité social et économique, les possibilités de viséo-conférences voire de conférences téléphoniques, logiquement limitées à la seule période d’urgence sanitaire.
L’idée que désormais toutes les réunions du CSE ou de négociation se tiendraient ainsi n’est réclamée par personne. Car comme enseigner exclusivement à distance n’est pas vraiment « enseigner » (envoyer et percevoir des « signes »), une réunion du CSE ne peut se résumer à une suite de prises de paroles individuelles, en dehors d’une dynamique collective débouchant sur la consultation de l’instance elle-même. A fortiori pour la négociation collective, où l’essentiel ne se passe pas toujours en réunion plénière.